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— Oui, c’est étonnant ! reprit sa sœur.

Et Luizzi se répéta à lui-même ce mot : C’est étonnant !

La conversation en demeura là, et, le dîner ayant été servi, tout le monde y prit place. La sérénité commune était revenue. Le dîner fut court, parce que M. Buré partait immédiatement. Au moment de s’éloigner, il prit Luizzi et Félix dans une embrasure de fenêtre, et il dit au baron :

— Puisque je pars pour terminer une affaire à laquelle mon frère se croyait bien plus intéressé que moi, il finira pour moi l’affaire que j’avais entamée avec vous, monsieur le baron.

Les deux hommes s’inclinèrent, mais tous deux semblaient répugner à avoir à traiter ensemble.

Quoiqu’on fût en plein hiver, Luizzi sortit après le dîner pour se promener dans le parc. Il vit bientôt passer un domestique avec un cheval qu’il conduisait par la bride. Cet homme dit à Luizzi qu’il allait attendre son maître à la porte d’un petit pavillon ouvrant sur un chemin de traverse qui abrégeait la distance de la forge à Quillan. Cette indication rappela à Luizzi le souvenir du récit du Diable, il pensa que c’était le pavillon au pied duquel avait dû être assassiné M. de Labitte. Quoique nulle trace de ce crime ne dût exister, Luizzi fut pris de l’envie de voir le lieu où il avait été commis. C’est une curiosité si commune qu’il est inutile de la justifier. Tous les ans les châteaux royaux sont encombrés de bourgeois qui se font montrer les endroits où se sont passés les faits mémorables de notre histoire. Il y en a qui disent sentir l’immensité de l’abdication de Napoléon en voyant la misérable table sur laquelle elle a été signée ; ils se plaisent à observer ce cadre où fut posé un tableau qui n’existe plus ; ils le reconstruisent dans cette bordure vermoulue, s’imaginant qu’ils le comprennent mieux ainsi. Luizzi était de cette nature, et, lorsqu’il arriva au pavillon, il sortit, traversa la route, puis, se plaçant en face, il se mit à examiner la fenêtre où l’aventure de madame Buré s’était dénouée par un meurtre.

Luizzi s’était enfoncé de quelques pas dans le bois qui était de l’autre côté du chemin ; il s’était appuyé à un arbre, et, de cet endroit, il philosophait en grandes phrases mentales sur cette lamentable histoire. C’est donc là, se disait-il, qu’une femme a osé commettre froidement un crime que le plus résolu des hommes n’aborde qu’avec terreur ! Le sentiment de