Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/90

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des incidents désobligeants, pour se les attribuer. Luizzi supposa qu’une famille où se trouvaient une femme et deux jeunes filles charmantes pouvait s’alarmer de la présence d’un beau jeune homme comme lui. Les premières paroles qu’il entendit lui ôtèrent cette flatteuse opinion.

— Je suis forcé de vous quitter, lui dit M. Buré. Je pars dans une heure ; je reçois à l’instant la nouvelle d’une faillite qui peut me faire perdre cinquante mille francs ; ma présence à Bayonne peut sauver une bonne partie de cette somme, je n’ai pas un instant à perdre.

Il laissa Luizzi dans un coin du salon et reprit sa conversation avec sa femme et son père. Tout à coup le frère de madame Buré, le capitaine Félix, entra, le visage pâle et l’air hagard.

— Est-il vrai, s’écria-t-il, que ce misérable Lannois ait suspendu ses payements ?

— Oui vraiment, dit madame Buré.

— Enfin ! reprit le capitaine avec une joie cruelle. Je pars pour Bayonne, entendez-vous ; c’est moi que cette affaire regarde.

— C’est moi avant tout le monde, dit M. Buré.

— Toi ! reprit le capitaine.

M. Buré lui fit signe qu’un étranger les écoutait, et tous deux sortirent. Madame Buré était tremblante, les grands-parents troublés ; les jeunes filles semblaient seules étonnées. À peine les deux hommes étaient-ils sortis que l’on entendit l’éclat de leur voix. Madame Buré quitta le salon, les grands’parents la suivirent. Luizzi resta seul avec mesdemoiselles Buré.

— C’est un grand malheur, dit-il, et je conçois la colère de monsieur votre oncle : il est si cruel, quand on est honnête homme, de se voir trompé, que je partage son indignation.

— Pour une si faible somme ! dit l’un des enfants.

— Que dites-vous, Mademoiselle ? cinquante mille francs !

— Oh ! Monsieur, notre maison a subi de bien plus grandes pertes sans que j’aie jamais vu mon père et mon oncle dans cet état.

— D’ailleurs mon oncle devait s’y attendre, dit l’autre jeune fille ; je l’ai entendu dire souvent que M. Lannois finirait par faire de mauvaises affaires, et c’était lui pourtant qui poussait toujours mon père à en entreprendre de nouvelles avec lui.