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Si vous y regardiez de près, vous verriez que ce n’est qu’un petit courage et une épaisse sottise. Du reste, après y avoir longtemps réfléchi, Luizzi avait pensé que ce qu’il avait dit de madame Dilois serait un de ces propos sans conséquence qui murmurent un moment et se perdent bientôt dans les mille bruits d’une ville aussi médisante et aussi tracassière que Toulouse. D’un autre côté, Luizzi s’était laissé dominer par le récit que lui avait fait le Diable. Possesseur pour la première fois d’un secret à travers lequel il pouvait, pour ainsi dire, regarder une femme et la voir sous son véritable jour, il se décida à étudier madame Buré. Il essaya de retrouver sur sa physionomie une ombre de rêverie ou de remords, un de ces retours soudains vers le passé où, l’œil et l’âme attachés à un fantôme invisible, on demeure immobile et tremblant jusqu’à ce qu’une voix qui vous appelle, une main qui vous touche, vous avertisse qu’on observe votre préoccupation et vous fasse jeter sur ce remords, dressé devant vous comme un spectre, un sourire qui le voile, une parole joyeuse qui le cache, linceuls roses et gracieux sous lesquels dorment un cadavre et un crime.

Mais Luizzi ne vit rien de pareil dans madame Buré. La sérénité inaltérable de son visage ne se troubla pas un moment durant les jours pendant lesquels il l’observa. Cette femme était si également calme, bonne, avenante, que Luizzi se prit à douter quelquefois de la véracité de Satan. D’autres fois, cette assurance l’indignait, et au point qu’il fut tenté de jeter à madame Buré le nom de M. de Labitte. Il pouvait en parler comme d’un homme qu’il avait connu, témoigner des regrets sur sa mort malheureuse, et dater ses relations d’une époque qui pouvait faire trembler la coupable. Luizzi résista à cette tentation : le motif qui lui donna cette force, s’il l’avait expliqué comme il croyait le sentir, eût été fort honorable ; mais le Diable n’était pas disposé à lui laisser d’illusions sur son propre compte, pas plus que sur le compte d’autrui, et cela valut au baron une rude leçon sur ce qu’il appelait sa noble discrétion. Voici à quelle occasion il la reçut :

Trois ou quatre jours après son arrivée, il trouva la famille Buré assemblée à l’heure ordinaire, mais un air de mécontentement régnait sur tous les visages. Luizzi craignit d’en être la cause ; la prétention d’être une influence possède tellement certains hommes, qu’ils s’emparent de tout, même