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Le soir venu, les occupations des hommes et les habitudes de retraite des jeunes filles laissèrent Ernest seul avec madame Buré.

— Hortense, lui dit-il, ai-je obtenu ma grâce ?

— En doutez-vous ? répondit-elle. Cependant il est des précautions à prendre pour mon repos. Cette nuit, trouvez-vous à l’extrémité d’un petit chemin qui aboutit à un pavillon situé dans un angle de notre parc ; j’y serai, et je vous ouvrirai la porte. Maintenant retirez-vous ; et, sous prétexte de vous épargner une partie de la route, je vais vous montrer le pavillon et le chemin qui y conduit.

Son bonheur parut si facile à Ernest, qu’il se repentit presque d’avoir tant fait pour y trouver si peu d’obstacles. Cependant il promit d’être au rendez-vous. À minuit, il frappait doucement à la petite porte du pavillon. Une femme ouvrit une fenêtre et demanda :

— Est-ce vous, Ernest ?

— C’est moi !

— Il faudrait escalader cette fenêtre, car je n’ai pu retrouver la clef de la porte.

La fenêtre n’était qu’à cinq ou six pieds du sol, et Ernest en saisit le bord avec facilité. Mais au moment où il s’enlevait à la force des poignets pour achever de la gravir, il sentit comme un anneau de fer glacé s’appuyer sur son front, et il entendit ces seules paroles :

— Vous êtes un infâme, vous avez manqué à votre parole !

Le coup de pistolet partit, et Ernest tomba mort au pied du pavillon.

Dans ce pays de forêts, tout habité par des braconniers, un coup de feu dans la nuit n’étonnait personne. Les ouvriers qui surveillaient les fourneaux écoutèrent, et l’un d’eux s’écria :

— Nous pourrons peut-être bien en manger demain.

— De quoi ? dit M. Buré, qui faisait sa dernière tournée.

— Ma foi ! du lièvre ou du sanglier que sans doute un de nos camarades vient d’abattre dans la forêt.

— Prenez garde ! on finira par vous y prendre, et cette fois je ne payerai pas l’amende.

M. Buré acheva l’inspection de ses ateliers et retourna dans sa maison, où il retrouva sa femme couchée et dormant ou feignant de dormir d’un profond sommeil. On ne décou-