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— Ah ! Madame ! s’écria Ernest en se rapprochant de madame Buré.

— Allons, calmez-vous, réfléchissez. Que penseriez-vous demain de la femme qui s’oublierait à ce point ?

— Demain, Madame, ce sera un rêve fini, sinon oublié ; demain il y aura entre vous et moi un abîme infranchissable.

— Folie ! Et qui me l’assurera ?

— Ma parole que je vous engage, et ma vie dont vous pouvez disposer si je manque à ma parole.

— Écoutez, Ernest ! Tout ce que je viens d’entendre est si nouveau et si étrange, que ma tête se perd et que je ne sais plus ni ce que je dis ni ce que je fais. Ah ! jurez-le-moi, n’est-ce pas que jamais vous ne tenterez de me revoir ? il y va de mon repos, de ma vie, de mon bonheur. Ernest, jurez-le-moi.

— Oui, je vous le jure : jamais, jamais…

Ernest se rapprocha de madame Buré, qui murmura doucement :

— Jamais, n’est-ce pas, jamais ?

— Jamais ! dit Ernest.

— Ô mon Dieu ! mon Dieu ! prenez pitié de moi.

— Malheureusement, reprit le Diable, ce n’est pas Dieu qui était en tiers dans le coupé de la diligence, et je n’eus pas pitié de cette pauvre femme.

— Et que fit Ernest quand la diligence fut arrivée à Castres ? dit le baron de Luizzi.

— Il tint parole une heure, il laissa partir madame Buré sans la suivre, sans s’informer d’elle.

— Et plus tard ?…

— Plus tard, il savait que madame Buré était la femme d’un maître de forges des environs de Quillan ; il apprit que le gouvernement avait commandé une fourniture assez considérable dans cette forge, et il se fit nommer par le ministre pour en surveiller la confection. Chemin faisant, il apprit encore que la famille dans laquelle il allait s’introduire était nombreuse, qu’on la citait comme un modèle de ces mœurs patriarcales qui se rencontrent encore loin du monde, dans quelques demeures inconnues ; il sut que le frère et le mari de madame Buré étaient deux de ces sévères protestants du Midi qui ont gardé leur foi austère dans l’honneur de la famille. On lui parla même de malheurs étranges arrivés dans