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à madame Buré, elle ne riait plus, elle répliqua doucement :

— Vous avez le cœur bien jeune.

— Et je vous remercie de me l’avoir fait sentir. Voulez-vous que je vous raconte mes pensées d’il y a une heure et mes pensées d’à présent ?

— Mais je ne sais pas…

— Oh ! vous avez trop de supériorité dans l’esprit et dans le cœur pour vous offenser de ce que je puis vous dire. D’ailleurs, je n’accuserai que moi.

— Eh bien ! donc, que pensiez-vous il y a une heure ?

— Je pensais… Vous comprenez bien que je ne le pense plus… Je pensais que vous étiez une femme qui n’aviez de compte à rendre de votre conduite qu’à vous-même ; une de ces femmes qui donnent un peu au hasard… au caprice… à l’occasion… à un moment d’imagination… qui donnent…

— En voilà assez, dit madame Buré d’un ton où il y avait autant de tristesse que de mécontentement, et c’est dans la catégorie de ces femmes que votre bonne opinion de moi m’avait placée ?

— Oh ! ne le croyez pas, Madame. Du moment que je vous ai vue, vous m’avez séduit. À quelque titre que ce soit, j’ai désiré sur-le-champ vous laisser un bon souvenir de l’homme que vous avez rencontré par hasard sur la route de Castres. Je dirai même que ce premier sentiment était presque indépendant de votre beauté et de votre jeunesse. Vous auriez eu soixante ans que je vous aurais entourée de soins comme ma mère ; mais il s’est trouvé que vous étiez si jolie que j’ai combattu cette première impression ; je vous ai descendue de cet autel improvisé, et j’ai espéré, pour oser tenter de vous plaire, que vous étiez moins parfaite que vous ne le paraissiez. Je l’ai essayé, mais votre charme m’a de nouveau dominé malgré moi, et, si vous étiez juste, vous vous rappelleriez qu’au moment où vous avez prétendu que je vous comparais au soleil et à la lune, je vous disais du fond du cœur que votre présence m’avait souri comme un beau jour, comme une belle nuit. Que sais-je ? Je parlais avec mon cœur, vous m’avez répondu avec votre esprit, j’ai été blessé ; je me suis senti furieux contre moi de m’être laissé prendre à votre grâce, et je viens de vous punir par une grossièreté de la folie de mon cœur. Voyez comme je suis franc ! je vous fais un aveu bien sincère, il l’est assez pour vous montrer que j’ai besoin de votre pardon.