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plaça aussi loin qu’il le put de madame Buré ; puis, voyant le mouchoir de soie resté sur le coussin, il essaya aussi de le remettre autour du cou de la dormeuse ; il n’y put parvenir, et, craignant de l’éveiller, il reprit sa place. Comme il se désespérait dans son coin d’avoir forcé cette charmante femme à souffrir du froid, il vit la main de madame Buré qui cherchait sur le coussin. Il y posa doucement le mouchoir ; elle le rencontra, le prit et s’en enveloppa sans rien dire.

— Ah ! Madame, s’écria Ernest avec une véritable émotion, vous êtes un ange !

Madame Buré montra qu’elle n’avait point dormi, et achevant d’arranger tout à fait le manteau sur ses pieds, elle répondit avec un ton de reproche charmant :

— Mais pourquoi donc traiter comme une aventurière une femme que vous ne connaissez pas ?

Ernest ne répondit pas. Trop de sentiments étranges s’agitaient en lui. Il n’osait exprimer ce qu’il éprouvait, tant cela pouvait paraître extravagant et par conséquent injurieux pour madame Buré ! Il faut remarquer que, comme ils ne se voyaient ni l’un ni l’autre, l’expression des traits ne pouvait rien dire de ce qu’ils sentaient, et qu’il fallait, pour ainsi dire, tout parler. Enfin, Ernest reprit avec une sorte de gaieté en colère :

— Tenez, Madame, je me disais tout à l’heure, à part moi, que j’étais un maladroit, et je vois que je n’ai été qu’un brutal ; et maintenant, si je n’ose vous dire tout ce qui me passe par la tête, c’est de peur de vous fâcher encore.

— C’est donc bien étrange ?

— Oui, vraiment.

Il s’arrêta et reprit tout à coup :

— En vérité, je crois que je suis amoureux de vous.

Madame Buré se mit à rire aux éclats. Ernest lui répondit avec une bonhomie pleine de tendresse :

— Eh bien ! j’aime mieux cela. Moquez-vous de moi, persuadez-moi que je suis ridicule, ce sera plus raisonnable. Mais tenez, là, tout à l’heure, quand j’ai vu mon pauvre manteau et mon pauvre mouchoir que vous aviez repoussés !… c’est bien niais de l’avoir senti et bien niais de vous le dire, mais cela m’a fait de la peine, une peine sincère, je vous le jure. J’étais humilié, mais j’étais encore plus malheureux.

Il y avait dans la voix d’Ernest une émotion qui voulait rire et qui n’attestait que le trouble sincère du cœur. Quant