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et de seize ans se tenaient près de leur mère, douces fleurs qui s’ouvraient timidement à une vie pure et sainte, n’ayant aucune idée du mal ; car, dans cette famille, personne ne pouvait la leur donner.

On attendait quelqu’un, c’était le frère de madame Buré : il avait été capitaine sous l’empire et gardait une haine profonde à tout ce qui se rattachait au retour des Bourbons. À ce titre, le baron de Luizzi devait lui déplaire. Cependant, le capitaine l’accueillit avec une franchise pleine de bonhomie. Le dîner se passa à deviser simplement d’affaires. Après le dîner, M. Buré et son beau-frère retournèrent à leurs occupations, et Armand resta seul avec madame Buré, les vieux parents et les jeunes filles. Chacun se livrait, de son côté, à de petits travaux ou à de graves lectures, et Armand, qui s’était emparé d’un journal, put voir avec quel soin de fille et de mère madame Buré s’occupait de tous ceux qui l’entouraient. C’était une prévenance et une protection si empressées, que Luizzi en fut ravi, et que, facile à se laisser aller à toutes ses impressions, il pensa qu’il avait devant lui le modèle d’une vie parfaitement heureuse. Madame Buré surtout lui semblait une douce et ravissante réalisation de la femme à qui toutes les affections abondent au cœur pour le remplir d’amour et le répandre ensuite autour d’elle, comme la large coupe de nos fontaines où l’eau monte sans cesse par des conduits cachés pour en redescendre en nappes fraîches et pures. Luizzi se sentit heureux de ce spectacle, et, quand le soir fut venu, il se retira le cœur content. Cette journée avait si bien contrasté pour lui avec celles qui venaient de s’écouler, qu’il se plaisait à en rechercher les moindres circonstances. Quelle femme que cette madame Buré ! se disait-il ; quelle exquise beauté ! quelle gracieuse simplicité ! Certes, jamais personne ne pensera à troubler une âme si calme, une vie si sereine ; tandis que la marquise et madame Dilois… Comme il achevait mentalement ces noms, il se souvint de sa résolution d’apprendre le secret de leur conduite. Il balança longtemps ; car, par un secret avertissement, il lui semblait qu’il allait gâter la bonne émotion qu’il avait éprouvée. Mais ce qui eût dû retenir sa curiosité fut ce qui le détermina à la satisfaire. Aurais-je l’air, se dit-il, de trembler devant le Diable ? et, lorsque je suis résolu à connaître la vie humaine dans ses secrets les plus ténébreux, reculerais-je quand il s’agit d’apprendre sans doute l’histoire très-vulgaire de deux