Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oh ! je vous en supplie, au nom du ciel, n’en parlez à personne !

— En vérité, ce n’est pas de madame Dilois que j’ai à m’occuper à vos côtés, et n’ai-je pas quelques droits de m’étonner de vos refus à me recevoir après… ?

Une rougeur pourpre remplaça la pâleur de madame du Val.

— Armand, lui dit-elle, je mourrai bientôt… je l’espère… oh ! oui, je l’espère… Alors, vous saurez tout.

Lucy avait un air si pénétré de cette affreuse espérance, qu’elle toucha Luizzi. Elle continua :

— Ne me revoyez jamais !

— Cependant…

— À genoux, c’est à genoux que je vous le demande.

Et cet égarement que Luizzi avait déjà vu dans le regard de la marquise semblait prêt à éclater encore. Il répondit :

— Eh bien ! je vous le promets.

— Promettez-moi aussi, reprit-elle avec plus de calme, de ne parler jamais de madame Dilois.

Luizzi se crut assez fort pour arrêter la confidence faite à Barnet, et il le promit de même. Un moment après, Lucy se retira au milieu des saluts profonds de tous les hommes. À la porte du salon où ils se pressaient, ils lui ouvrirent un passage comme à une noble et sainte personne à qui l’on ne pouvait trop montrer combien on avait de respect pour elle. Luizzi demeura tout pensif. Quelques jeunes gens causaient à côté de lui, tout bas et riant beaucoup de ce qu’ils disaient. En ce moment la maîtresse de la maison s’approcha du baron et l’appela par son nom.

— Eh pardieu ! dit l’un de ses voisins, voici le héros de l’aventure Dilois.

Luizzi ne douta plus que ce qu’il avait dit à Barnet ne fût déjà le sujet de toutes les conversations, et, par un sentiment tout nouveau, il éprouva un vif remords de ce qu’il avait fait ; puis il se mit à écouter ce qui se disait près de lui, en feignant d’être très-attentif à toute autre chose.

— Ma foi ! il a été bien niais, disait l’un, et, à sa place, je n’en serais pas sorti sans avoir prouvé à la petite femme qu’on ne se moque pas ainsi d’un honnête homme.

— Ce Charles me paraît le plus heureux de tous, car la petite marchande est ravissante.

Et la conversation demeura sur ce ton assez longtemps