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avec la marquise, et surtout le ton de madame Dilois, ce que lui en avait dit madame Barnet et ce qu’il avait supposé de Charles. Il lui fallut encore assez longtemps pour croire que l’on s’était moqué de lui. Mais enfin l’onglée le rendit moins vaniteux. On le laissait à la porte, et peut-être M. Charles le guettait en riant derrière un rideau. Cette odieuse pensée torturait Armand ; car la question n’était déjà plus de posséder ou de ne pas posséder cette femme, mais d’avoir été ou de ne pas avoir été bafoué ; la question était d’être ou de ne pas être ridicule. Hamlet n’était point si agité. Cependant Luizzi n’osait pas encore se persuader qu’on se fût joué de lui à ce point. Une heure entière se passa dans ce combat de l’orgueil contre l’évidence. L’amour-propre est un animal qui a bien plus de têtes que l’hydre de Lerne, et auquel elles repoussent bien plus vite. Luizzi épuisa toutes les suppositions avant d’arriver à la conviction que madame Dilois s’était moquée de lui. Cependant une bonne demi-heure se passa encore, et alors commença une conviction qu’un accident inattendu vint compléter. La porte s’ouvrit ; le baron y courut et se trouva face à face avec le beau Charles, qui sortait. Tous deux, après avoir reculé d’un pas, se regardèrent dans la nuit d’un regard si courroucé, qu’ils s’éclairèrent mutuellement.

— Vous voulez entrer bien tard, dit Charles.

— Pas plus tard que vous ne sortez.

— On vous attend ?

— Après vous, à ce qu’il paraît ; mais je vous jure, mon cher monsieur, que vous n’avez rien à craindre.

— Que voulez-vous dire ?

— Que pour une fois par hasard on pouvait bien me laisser la première place.

— Oseriez-vous penser ?

— Ce que j’ose vous dire, que la maîtresse du logis est la maîtresse du…

— Vous ne le ferez pas, je vous le jure ! s’écria Charles en saisissant Luizzi au bras.

Le baron se dégagea avec un mouvement de colère indignée :

— Allons donc, Monsieur, vous êtes fou ou enragé !

Le mépris avec lequel le baron prononça ces dernières paroles exaspéra Charles ; il s’avança sur Luizzi.

— Savez-vous qui je suis ?