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— C’est me forcer à tout vous dire.

— C’est donc bien désobligeant à entendre ?

— C’est difficile à faire comprendre.

— En ce cas, revenons au marché des laines, car j’ai l’intelligence très-rebelle.

— Si votre cœur n’a pas le même défaut, c’est tout ce que je demande.

— Mon cœur, monsieur le baron ! le cœur n’a rien à faire dans ce qui nous occupe.

— Le vôtre, peut-être, mais le mien !

— Le vôtre ! est-ce que vous le donnez par-dessus le marché dans la vente de vos laines ? repartit la marchande avec cette expression amoureuse des yeux et de la voix qui dans le Midi est une nature qui s’applique à tout.

L’air dont madame Dilois dit cela était en même temps si naïvement railleur, que Luizzi en fut vivement troublé et piqué ; mais il eut l’esprit de le cacher et répondit du même ton :

— Non, Madame, quand je le livre, je veux qu’on me paye.

— Et de quel prix ?

— Du prix ordinaire. Et il osa prendre tendrement les mains de madame Dilois, et il jeta un regard insolent sur le lit entr’ouvert.

— Et combien donnez-vous de terme ? reprit-elle en se défendant mal.

— J’exige que ce soit au comptant.

— Je ne suis pas en fonds, et je raye cet article du marché.

— Mais moi je l’y maintiens : tout ou rien.

— Vous voulez que la bonne marchandise fasse passer la mauvaise ? dit-elle d’un ton plein de malicieuse gaieté.

— Je ne suis pas si négociant, je donne la bonne pour rien, pourvu…

— Pourvu qu’on paye la mauvaise, reprit-elle, et d’un prix…

— Bien au-dessus de sa valeur, sans doute ? repartit Luizzi d’un air galant.

— Ce n’est pas cela que je voulais dire ; mais, en vérité, je ne puis accepter. Assez de folies, monsieur le baron. J’ai voulu faire de l’esprit avec vous, j’ai été prise au piége…

— Le piége le plus dangereux, c’est votre beauté.