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Madame Dilois répondit par un regard et un sourire très-railleurs, puis elle ajouta :

— Vous avez beaucoup causé, à ce que je vois, avec madame Barnet ?

Quant à Charles, il ne comprit rien : le jeu des physionomies lui fit voir seulement qu’il y avait une finesse dans ce qui venait d’être dit ; mais cette finesse lui échappa, et il en devint plus morose. Madame Dilois le regarda en clignant des yeux avec un air de pitié protectrice, et lui dit :

— Je crois, Charles, que vous avez plus envie de dormir que de parler affaires ; retirez-vous, demain nous reparlerons du compte en question.

— Oui, Madame, répondit Charles en se levant avec soumission ; et, prenant assez gauchement son chapeau, il salua avec tristesse : Bonsoir, dit-il, madame Dilois ! Bonsoir, bonsoir. Monsieur, je vous salue.

Madame Dilois se leva pour éclairer Charles et le reconduire. Cela ne fut pas bien long, mais Luizzi entendit quelques mots échangés à voix basse. Madame Dilois rentra, et Luizzi écouta encore ; il n’entendit pas se fermer la porte de la rue. Charles logeait-il dans la maison, ou bien s’y était-il caché ? Ce n’était pas un obstacle dont le baron eût à s’occuper ; il croyait avoir assez bien jugé madame Dilois pour être sûr que c’était une de ces femmes qui se chargent des soins matériels de leurs aventures, qui savent écarter un importun, ouvrir une porte, faire faire des doubles clefs ; une de ces femmes enfin qui portent dans l’amour l’activité prévoyante et adroite de leur esprit. Toutefois, quand madame Dilois eut repris sa place, Luizzi se hâta de lui dire du ton le plus pénétré qu’il put prendre :

— Je vous remercie d’avoir éloigné ce jeune homme.

— Et vous avez raison, car je crois qu’il eût été moins facile que moi dans la discussion du marché qui nous reste à faire.

Ces paroles de madame Dilois furent prononcées d’un ton si doucement railleur, avec des regards si doucement voilés, que Luizzi en fut presque troublé. Il avait une théorie sur les femmes qui les lui représentait comme toujours prêtes à céder quand on savait les attaquer ; il avait d’elles la plus mauvaise opinion possible quand il en parlait ; mais il redevenait facilement timide et presque toujours gauche quand il leur parlait. Son esprit avait soufflé sur ses belles illusions