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de leurs défaites, et Luizzi n’était pas assez novice pour l’ignorer. Aussi chercha-t-il un endroit par où il pût avertir madame Dilois qu’il avait besoin d’une conversation particulière.

Il répondit donc à ce qu’elle lui avait dit sur la continuelle obsession des affaires :

— Et moi, qui n’ai aucun droit d’être ennuyeux, je viens ajouter encore à la persécution commerciale qui pénètre jusque dans votre retraite. Je ne puis me le pardonner, et je vais me retirer, si vous voulez bien m’indiquer une heure où vous serez plus libre de m’entendre.

— Je ne veux pas vous donner la peine de repasser encore une fois ; je sais, car vous me l’avez dit, que votre séjour à Toulouse est de peu de durée, et, puisque vous ne pouvez attendre le retour de mon mari…

— Oh ! Madame, dit Luizzi en l’interrompant et en reprenant son tour de phrase avec la même inflexion, je savais, car on me l’a dit, qu’en traitant avec vous j’avais affaire au véritable chef de la maison…

— Monsieur, je ne comprends pas ce que…

— Au véritable chef, en ce sens que c’est en vous que se trouve la volonté, la supériorité, l’intelligence qui ont fait la fortune de votre commerce.

— Oui, certes, vous avez raison, reprit Charles ; madame Dilois s’entend mieux aux affaires que le premier négociant de Toulouse, et sans elle la maison Dilois ne serait pas ce qu’elle est.

— C’est absolument ce que me disait il y a deux jours madame Barnet.

— Madame Barnet ! s’écrièrent ensemble Charles et madame Dilois ; vous la connaissez ? ajouta celle-ci.

M. Barnet est mon notaire, et, m’étant rendu chez lui sans avoir l’adresse de le rencontrer, j’ai eu occasion de voir madame Barnet.

— Ah ! quelle chipie ! dit le commis d’un air de mépris.

— Vous n’êtes pas reconnaissant, Monsieur, reprit le baron ; elle m’a parlé de vous dans les meilleurs termes, elle m’en a fait un éloge…

— Que Monsieur mérite toujours, dit madame Dilois d’un ton piqué.

— Peut-être pas de sa part, reprit Luizzi en commentant ces mots d’un sourire et d’un regard très-significatifs.