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une débauchée, celle qui se donna était une statue ou une victime. Il y avait là un terrible secret. Déjà Luizzi avait remords et honte de son bonheur. Le boudoir était silencieux ; la marquise, assise sur le divan, avait repris ce regard immobile et vibrant qu’elle avait en entrant. Luizzi, cependant, suivait d’un œil inquiet les mouvements convulsifs de sa physionomie ; il voulut lui parler, elle parut ne pas l’entendre ; il voulut se rapprocher d’elle, elle le repoussa avec une force qui l’étonna ; il voulut s’emparer de ses mains, elle se leva et se dégagea avec violence en s’écriant :

— Oh ! c’est infâme !

Et tout aussitôt cet orage du cœur et du corps, qui grondait depuis si longtemps, fit explosion ; la marquise eut une crise nerveuse effrayante. Elle poussait des cris aigus, elle parlait de malédiction, d’enfer, de damnation éternelle. Toutes les fois que Luizzi voulait la toucher, elle se contractait sur elle-même comme si elle eût senti l’horrible attouchement d’un serpent. Armand ne savait que faire, lorsque la porte du boudoir s’ouvrit. Mariette entra, elle haussa les épaules avec impatience en disant :

— J’en étais sûre !

Elle s’approcha de sa maîtresse, la délaça en lui parlant avec un ton d’autorité auquel il semblait que la marquise était accoutumée d’obéir. La crise fut longue et se termina par un affaissement que Luizzi n’osa pas troubler.

— Il est temps de vous retirer, lui dit Mariette ; venez, je vais profiter de ce moment de calme pour vous reconduire.

Luizzi suivit Mariette, qui marcha rapidement, pressée qu’elle était de revenir auprès de sa maîtresse. Luizzi ne voulut pas faire de question à cette servante, il se retira après avoir passé cinq heures dans une suite d’étonnements qui l’avaient entraîné à son insu et hors de tout ce qui lui eût semblé possible. Il traversa ainsi le jardin, sortit, et rentra chez lui tellement plongé dans ses réflexions qu’il ne s’aperçut pas que, depuis la porte du jardin de la marquise jusqu’à son hôtel, il avait été suivi par un homme enveloppé d’un long manteau.

Le lendemain de ce jour, Armand se présenta chez la marquise. Il lui fut répondu qu’elle n’était pas visible. Il y retourna jusqu’à quatre fois dans la même journée et ne put pénétrer jusqu’à elle. Le surlendemain il lui écrivit, sa lettre demeura sans réponse ; il lui écrivit le troisième jour, sa