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— Lucy, ce serait impossible peut-être à mille femmes, mais s’il s’en trouvait une belle, noble, comme vous…

La voix de Luizzi était pleine de passion, il s’était encore rapproché de la marquise. Lucy cacha sa tête dans ses mains ; ce ne fut qu’un moment, pendant lequel elle froissa avec violence les belles nattes de ses noirs cheveux ; elle se leva soudainement, et Luizzi avec elle.

— Mon Dieu ! s’écria-t-elle, je deviens folle.

— Lucy ! dit Armand.

— Folle ! folle ! répéta-t-elle ; eh bien, soit ! je le serai tout à fait.

Et, avec un mouvement qui tenait du délire, elle s’empara des verres pleins restés sur la table et les but avec rage ; puis elle se retourna vers Luizzi, l’œil troublé, le regard perdu, et elle s’écria avec une folle ivresse des sens et de l’esprit :

— Eh bien ! oses-tu m’aimer ?

Pendant toute cette scène, la tête de Luizzi s’était aussi laissé frapper par la singularité de ce qu’il voyait et de ce qu’il entendait. Les circonstances, l’occasion, l’imprévu ont une ivresse qui étourdit, entraîne, égare, et Luizzi répondit à la marquise comme un homme qui croit en ce qu’il dit :

— T’aimer ! t’aimer ! c’est la joie des anges, c’est le bonheur, c’est la vie !

— Oui ! n’est-ce pas, que tu m’aimes ?

Luizzi ne répondit cette fois qu’en attirant la marquise dans ses bras ; elle ne résista pas, elle répéta en balbutiant :

— Tu m’aimes, n’est-ce pas ? tu m’aimes, n’est-ce pas ? Tu m’aimes ? tu m’aimes ? disait-elle sans cesse et pour ainsi dire sans raison.

Et ce mot était si obstinément répété, qu’il semblait ne plus avoir de sens pour la marquise ; elle le murmura jusqu’à ce que Luizzi eût triomphé de cette résistance instinctive que toute femme oppose aux désirs d’un homme.

Le délire d’esprit qui avait emporté Lucy, l’ivresse qui avait égaré sa raison, la folie qui semblait l’avoir poussée à commettre une faute que l’amour même n’excuse pas, tout cela, délire, ivresse, folie, sembla alors s’éteindre en elle ; la fièvre de l’âme ne gagna point le corps ; sa bouche, qui criait et riait amèrement sous l’inspiration de la colère, resta froide et silencieuse pour répondre à des mots d’amour. La femme qui s’était offerte à Luizzi semblait devoir être une folle ou