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s’exposer à paraître ridicule. On persiste, en comptant que le hasard, qui vous y a jeté à votre insu, vous en retirera de même : ainsi fit Luizzi.

— Si c’était vrai, dites-vous, Lucy ? Oh ! vous aimer est une vérité que tous ceux qui vous connaissent portent dans leur cœur.

La marquise se leva, tourna vivement la tête et reprit avec cette agitation fébrile qui ne la quittait pas :

— Tout cela est folie ! Voyons, remettons-nous à table.

Elle reprit sa place et se mit à souper comme une personne qui a pris le parti de faire quelque chose qui lui déplaît, mais qui l’occupe. Malheureusement pour Lucy, ce qui venait de se passer avait jeté dans l’esprit de Luizzi un désir immodéré de savoir le secret de cette âme en peine, et il résolut de satisfaire ce désir ou d’employer du moins tous les moyens pour y parvenir.

— Vous partez bientôt, n’est-ce pas ? lui dit Lucy.

— Dans huit jours au plus tard.

— Vous avez bien soif de votre Paris ?

— Ah ! Lucy, c’est que la vie est là.

— La vie des gens heureux !

— Non, Lucy ; c’est à Paris qu’il faut aller quand on souffre. Quand on a dans le cœur une flamme à éteindre, un désir de feu à contenir, il faut aller à Paris. Là sont toutes les occupations de l’esprit, toutes les fêtes où l’oreille et les yeux sont enchantés ; là on effeuille son âme à mille plaisirs inconnus ici, quand on ne peut pas la donner tout entière au bonheur.

— Vous avez raison ; ce doit être un grand soulagement que de ne rien garder en soi de soi-même. Avez-vous été amoureux à Paris, Luizzi ?

— Pas comme à Toulouse.

Lucy sourit tristement et lui fit signe de continuer.

— Des liaisons dont l’inquiétude fait l’éternel tourment et le seul bonheur, reprit le baron.

— Des maris redoutables, n’est-ce pas ?

— Pas du tout, mais des rivaux de tous côtés. Il y a toujours dix hommes que toute femme un peu élégante est obligée de recevoir du même ton et du même visage ; parmi ces dix hommes elle cache un amant, quelquefois deux… trois… quatre…

— Oh ! vous calomniez les femmes.