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il pas faire de même ? Il ne savait donc qu’imaginer en attendant que Lucy lui donnât l’explication de tout ce mystère, lorsque la marquise entra vivement dans le salon. Son air, son aspect surprirent Luizzi : ce n’était pas la femme tristement avenante qu’il avait vue le matin. Il y avait dans son visage une expression hardie et exaltée dont il ne l’eût pas crue susceptible. Ses yeux brillaient d’un éclat extraordinaire, et ses lèvres légèrement agitées avaient un sourire amer plutôt qu’heureux.

— C’est bien, très-bien, dit-elle à Mariette, qui l’avait accompagnée et qui sortit en jetant un regard scrutateur sur la marquise.

Lucy prit place dans un fauteuil au coin de la cheminée, et, sans adresser la parole à Luizzi, elle regarda fixement le feu. Armand était fort embarrassé et fort ému. Il voyait qu’il y avait quelque chose d’extraordinaire dans la physionomie et dans la tenue de Lucy ; mais il ne savait s’il était convenable qu’il s’en aperçût. Cependant, la préoccupation de la marquise se prolongeant, Luizzi l’appela plusieurs fois par son nom.

— Bien, très-bien, répondit-elle sans déranger son regard immobile ; oui, oui, très-bien.

— Lucy, qu’avez-vous ? dit Armand, vous souffrez, vous êtes malheureuse…

— Moi, répondit-elle en relevant la tête et en essayant de prendre un air plus calme, moi, malheureuse ? et de quoi ! mon Dieu ? Je suis riche, je suis jeune, je suis belle ; n’est-ce pas que je suis belle ? vous me l’avez dit, Armand. Qu’est-ce donc qu’une femme peut envier avec de tels avantages ?

— Rien, assurément. Cependant…

— Cependant ! reprit la marquise avec une impatience nerveuse. Elle serra les poings avec vivacité, se mordit les lèvres, et, se contraignant à grand’peine, elle continua : Voyons, Luizzi, ne soyez pas comme les autres, ne me poursuivez pas de questions, d’observations, de doléances parce que j’ai quelque pensée qui m’occupe ; vous savez qu’il faut bien peu de chose pour contrarier une femme… Mais je vous ai invité à souper, soupons.

Ils se mirent à table, et la marquise servit Luizzi ; elle était manifestement troublée, elle était gauche.

— Vous avez du champagne près de vous, lui dit-elle.

— M’en laisserez-vous boire seul ?