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tait dépouillée de cette parure si soigneusement et si virginalement conservée par Eugénie. Cette misérable circonstance fut grande pour la pauvre fille ; elle lui offrit une image parlante de ce qu’était devenue Thérèse, l’ouvrière si coquette, si élégante, si rangée ! Elle s’épouvanta et se demanda si elle-même, livrée au même séducteur, n’en viendrait pas à jeter ainsi autour d’elle tout sentiment de retenue, comme étaient jetés ces habits ; et l’effroi du vice était si fort dans l’âme d’Eugénie, que cette première pensée domina la colère et l’indignation que toute autre femme eût éprouvées à sa place. Arthur entra dans la chambre au moment où Eugénie tenait dans ses mains ce bonnet, ces bas, ce fichu. Il s’en aperçut et s’approcha d’elle, ne sachant s’il devait prévenir par la menace ou par les larmes une scène scandaleuse et violente. Eugénie ne lui donna pas le temps de se tromper sur la voie qu’il devait suivre ; elle le regarda avec un froid mépris, et lui dit avec le dernier dédain :

« — Milord, lorsqu’on est le fils d’un pair d’Angleterre et qu’on a une maîtresse pauvre, on ne la laisse pas aller mendier de quoi se vêtir, pour qu’elle ne vienne pas avec des haillons dans le riche hôtel de son amant. Dites à la vôtre, milord, que je lui fais l’aumône de ce qu’elle m’a emprunté. »

Aussitôt elle jeta à Arthur tout ce qu’elle tenait dans ses mains, et se disposa à sortir. Il voulut la retenir par la force et se plaça rapidement devant la porte. Mais elle ne lutta pas, elle le couvrit encore une fois du même regard méprisant qu’elle lui avait lancé, et alla s’asseoir sur un fauteuil.

« — Eugénie, lui dit-il en s’approchant d’elle, Eugénie, écoute-moi et pardonne-moi. »

La pauvre fille le regarda en face, et pour la première fois le regard fauve et ardent d’Arthur se baissa devant le regard froid et résolu d’une femme.

« — Eugénie, reprit-il en se mettant à genoux, ne veux-tu pas m’écouter ? c’est toi seule que j’aime, toi seule que je veux aimer. Et, en parlant ainsi, il lui prenait les mains et voulait l’attirer dans ses bras.

« — Prenez garde ! lui dit-elle, vous allez blesser votre enfant.

« — Grand Dieu ! s’écria-t-il, tu serais mère ? Oh ! si c’est vrai, Eugénie, compte sur moi. Je le prendrai, cet enfant ; je l’élèverai, je lui donnerai mon nom.

« — Ce ne sera que justice, milord ; car vous savez s’il vous appartient. ».