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Mais Mariette, puisque nous savons le nom de la servante, avait profité du moment pour réparer sa négligence, et le verrou était poussé. Sans attendre davantage, elle prit Luizzi par la main et l’emmena, tandis qu’on tournait et retournait la clef dans la serrure. Le jardin était vaste, et la nuit profonde. Luizzi suivait son guide sans se rendre compte de ce qui venait de lui arriver ; il n’avait pas même eu le temps d’être étonné, car l’étonnement demande une certaine réflexion ; il ne savait plus même où il allait, ni chez qui il allait, lorsqu’il arriva à l’angle d’un pavillon réuni à l’hôtel par une longue galerie. Une petite porte s’ouvrit. Luizzi monta un escalier tournant garni de tapis, et, au bout d’une douzaine de marches, il entra dans un petit salon faiblement éclairé, puis dans une autre pièce où était suspendue une lampe d’albâtre. Un grand feu brûlait dans la cheminée, une table à deux couverts était servie, et des parfums pénétrants remplissaient ce réduit étroit.

— Restez là, dit Mariette ; et elle laissa Luizzi seul.

Par un mouvement machinal, il regarda autour de lui avant de songer à réfléchir sur ce qui lui arrivait. L’endroit où il se trouvait avait de quoi le surprendre. C’était une étrange alliance des objets du luxe le plus voluptueux et des signes de la religion la plus minutieuse : sur des tentures de soie, des images de saints et des calvaires ; dans une bibliothèque de quelques rayons, les volumes brochés d’un roman nouveau et des livres de dévotion avec leur magnifique reliure ; sur une console, des vases remplis de fleurs merveilleuses ; au-dessus, un tableau de sainte Cécile dans un cadre surmonté d’un bouquet de buis bénit ; enfin, dans une demi-alcôve, un divan chargé de coussins ; au fond, une large glace encadrée de plis de moire bleue ; à la tête de ce divan, une Vierge des Sept-Douleurs, et au pied un christ d’ivoire sur un velours noir. Luizzi regarda ce boudoir ou cet oratoire avec un trouble étrange ; puis vinrent les réflexions sur la manière dont il avait été introduit. Cet homme qui surveillait l’hôtel, qui s’était présenté à la petite porte du jardin, qui en possédait une clef, c’était un amant assurément. Mais lui-même, Luizzi, n’avait-il pas l’air plutôt d’en être un ? et si quelqu’un l’avait vu entrer chez la marquise du Val comme il y était entré, n’aurait-il pas eu le droit de penser que Luizzi allait en bonne fortune ? Cependant ce quelqu’un se fût trompé aux apparences. Armand ne pouvait-