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grâce à toutes choses qu’elle les rend sans conséquence ; on voyait qu’il souffrait à faire ce qu’il faisait, c’était du fer qui ployait. Enfin cet homme, aux pieds duquel rampait la pauvre Thérèse qui le voyait lui échapper, rampait à son tour devant tous les caprices de l’orgueilleuse Eugénie.

« — Voulez-vous que j’abandonne Thérèse, lui disait-il, que je la reçoive mal ?

« — Qu’est-ce que cela me fait ? »

Alors, quand Thérèse arrivait le soir chez Eugénie, sûre d’y trouver celui qui l’avait tant poursuivie et qu’elle poursuivait à son tour, Arthur la maltraitait parce qu’elle ne pouvait même exciter la jalousie de sa rivale. Cependant le temps se passait et Arthur n’avançait point dans le cœur d’Eugénie ; car, tout en flattant son orgueil par sa servilité, il le blessait par l’offre d’un amour qui ne parlait que d’amour. Dans un cœur aussi endurci et aussi absolu que celui d’Arthur, un tel état de choses ne pouvait durer longtemps ; et, sentant son impuissance à dominer cette fille par la séduction, il employa la menace.

Un soir, un dimanche, note bien ce jour, il a sa place marquée dans presque toutes les fautes des peuples catholiques, Arthur vint le soir. Comme à l’ordinaire tout le monde était absent, et il avait donné à Thérèse un rendez-vous assez lointain pour qu’elle n’eût pas le temps de revenir assez tôt et le surprendre. Il entra chez Eugénie, et là il osa vouloir arracher par la violence une victoire qui échappait à son infernale séduction. Elle lui échappa encore ; mais ce fut après un combat long, douloureux, atroce, combat où une jeune fille ne laisse pas sans doute son honneur, mais où elle laisse sa pureté, où elle voit déchirer des voiles sacrés, où elle arrache tout meurtri des bras d’un misérable le corps blanc et vierge dont son regard seul savait la beauté. Ainsi, lorsqu’Arthur, fatigué de son infâme poursuite, s’arrêtait debout, haletant et furieux devant elle, Eugénie était sur sa misérable chaise, innocente encore, mais pleurant la fleur de sa pureté ; c’est le duvet si doux qui enveloppe le fruit mûr et qu’une main grossière lui enlève, sans que pour cela le fruit soit tombé ou cueilli. Et comme elle pleurait ainsi à grands sanglots et à grandes larmes, Thérèse parut, Thérèse jalouse, qui avait deviné qu’Arthur lui avait trop promis de venir pour qu’il tînt sa parole. Et Thérèse, voyant alors le désordre de l’un et de l’autre, osa accuser Eugénie ; elle lui reprocha d’être la complice d’Arthur et de l’avoir trompée avec