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blie pour affranchir le peuple, la jeune fille abandonnée avait confié ses craintes au vieillard puissant, et voilà comme elle fut reçue, voilà comment elle fut rejetée dans son inexpérience et son abandon ! Je ne te dirai pas que ce fut par méchanceté ni corruption, car je vois encore à ton sourire, mon maître, que tu t’imagines que moi, Satan, je me plais à calomnier un vieux prêtre inutile : non, baron, ce ne fut ni corruption ni méchanceté dans cet homme, ce fut cette large et dédaigneuse indifférence du grand pour le petit, ce fut cette haute opinion du grand seigneur et du gentilhomme, qui n’admet pas qu’un gentilhomme et un grand seigneur puisse avoir un tort vis-à-vis de ces misérables créatures dont la société fait litière pour tenir chaud aux pieds de l’orgueil et de la luxure.

Après cette scène, Eugénie, rentrée chez elle, résolut de ne plus sortir de longtemps ; elle fit dire à sa maîtresse qu’elle la priait de vouloir bien lui envoyer du travail dans sa chambre, et elle s’y enferma, espérant qu’elle avait enfin trouvé un asile où n’oserait pénétrer son persécuteur. Huit jours se passèrent encore ainsi. Puis un autre dimanche étant venu, Thérèse alla voir Eugénie et lui proposa d’aller se promener loin, bien loin, à la campagne.

« — Ta mère, lui dit-elle, ne rentrera pas aujourd’hui ; car tu sais que madame Bodin lui a trouvé une bonne occupation.

« — Oui, reprit Eugénie, voilà deux jours qu’elle est allée veiller une vieille Anglaise, et voilà deux jours que je suis seule ici.

Si madame Bodin avait procuré à Jeanne la vieille Anglaise à veiller, tu dois soupçonner, toi, qui avait enseigné la vieille Anglaise à madame Bodin.

« — Mais tu dois t’ennuyer à périr, ma pauvre fille ? reprit Thérèse.

« — Il est vrai que je ne m’amuse guère, repartit Eugénie qui commençait à regretter sa pauvre vie insouciante, alors que l’effroi de la rencontre d’Arthur était un peu calmé, depuis huit jours qu’elle ne l’avait vu.

« — Eh bien ! viens donc. »

Eugénie hésita un moment, puis elle répondit :

« — Non, bien décidément, non. Dimanche prochain ou dans quinze jours je sortirai, mais pas aujourd’hui.

« — Eh bien ! je ne veux pas te laisser seule, je passerai la soirée avec toi ; je vais aller prévenir à la maison que je suis ici. »