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« — Oui, Monseigneur, j’aurai l’honneur de vous voir souvent, et j’espère trouver dans ces visites plus de bonheur que vous ne croyez. »

Cette voix et ces paroles arrêtèrent le sourire d’Eugénie et frappèrent son cœur comme une menace : c’était la voix d’Arthur qu’elle connaissait bien, quoiqu’elle l’eût à peine entendue dans les mots rapides qu’il lui glissait en la poursuivant. L’émotion qu’elle éprouvait fut si vive que, dans un premier mouvement d’effroi et de doute, elle s’écria :

« — Qui est là ?

« — Celui qui vous aime et qui vous obtiendra, répondit Arthur à voix basse et en passant rapidement devant elle pour sortir.

« — Eh bien ! ma fille, dit alors l’évêque qui était resté sur sa chaise longue, qu’est-ce que m’a dit madame Bodin ? tu deviens triste, mélancolique, tu pleures sans cesse ? Est-ce que ta mère te maltraite toujours ?

« — J’y suis habituée, répondit Eugénie.

« — Il y a donc du nouveau ?… Est-ce que madame Gilet est mécontente de toi et voudrait te renvoyer ?

« — Non, repartit tristement Eugénie ; elle m’a augmentée depuis huit jours.

« — Ah çà ! ce que l’on m’a dit serait donc vrai ? est-ce que tu serais une petite ambitieuse qui n’es contente de rien et qui élèverais tes désirs plus haut que tu ne le dois ?

« — Non, mon Dieu ! non, dit Eugénie. Qu’on me laisse tranquille où je suis, je ne demande pas autre chose.

« — Voyons, voyons, repartit l’évêque en faisant signe à Eugénie d’approcher ; est-ce qu’il y aurait de l’amour sous jeu ? Prends garde, Eugénie, prends garde, cela mène à mal ; souviens-toi de madame Bodin !

« — Mais moi, je ne l’aime pas, reprit Eugénie en pleurant.

« — Ah ! ah ! fit le vieil évêque, il y a donc quelqu’un ?

« — Oui, dit Eugénie résolument, oui, et c’est ce jeune homme qui sort d’ici qui me poursuit partout, qui m’obsède partout, et qui n’est entré chez vous, Monseigneur, j’en suis sûre, que pour me voir et me parler.

« — Baste ! fit l’évêque d’un ton rogue : votre petite vanité me garde là un joli rôle, Mademoiselle ! Défiez-vous, s’il vous plaît, de cette confiance très-sotte qui vous fait croire qu’un homme du rang et de la fortune de sir Arthur s’occupe d’une petite fille comme vous : c’est un conseil que je vous donne, quoique je sache que vous avez de très-grandes prétentions et que vous vous croyez une demoiselle bien superbe, parce que vous suivez dans vos habits les modes des femmes du monde. »

L’enfant du peuple était venue au prêtre de la religion éta-