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che, il la salua, et, lui montrant un petit flacon du doigt, il lui dit :

« Combien cela ? »

C’était un objet d’un petit écu. Mais la marchande irritée lui répondit avec humeur :

« — Quarante francs, Monsieur !

« — Donnez-le-moi, dit l’Anglais en entrant dans la boutique et en tirant sa bourse. »

La marchande, tout ébahie, ouvrit la montre, en tira le flacon et le remit à Arthur, qui le paya sans cesser de regarder Eugénie, retirée dans le fond du magasin.

« — C’est bien, c’est bien, dit l’Anglais tout haut, je reviendrai acheter beaucoup. »

Il sortit, et Eugénie comprit, au peu d’empressement qu’on mit à lui continuer une protection si efficace, que l’on ne voulait pas risquer pour elle une si excellente pratique. Une pensée l’occupa surtout, c’est que le regard de cet homme qui lui avait fait peur avait aussi fait peur à un homme, et alors elle s’effraya de l’idée de le rencontrer. Cet inconnu devint pour elle un être redoutable. Elle pensa aussi à l’abandon dans lequel elle vivait, n’ayant ni père, ni frère, ni parents qui s’occupassent d’elle. Ce fut à cette époque qu’elle revit son oncle Rigot, qui, ne voulant pas rester en France après la déchéance de son empereur, commença à lui parler de son intention de s’embarquer pour tenter la fortune. Ce ne fut toutefois qu’après les événements de 1815 qu’il accomplit ce projet.

Cependant Eugénie avait quitté la boutique du parfumeur, bien décidée à tromper les poursuites de l’Anglais, si elle le retrouvait ; et, pour cela, au lieu de rentrer chez sa mère, elle alla chez madame Gilet. Arthur la suivit encore et ne quitta la rue qu’après deux ou trois heures d’attente. Eugénie rentra chez elle.

Il y a longtemps que je ne te parle plus de madame Turniquel, et tu t’imagines peut-être que cette femme, touchée du courage d’Eugénie, lui laissait au moins le repos de son existence laborieuse. Voici ce qu’il en était. À peine Eugénie eut-elle atteint l’entrée du corridor où elle logeait, que sa mère courut à elle en lui criant :

« D’où viens-tu, coquine, coureuse ? etc., etc. »

Je ne te dis pas les vrais mots, baron ; car si, comme tu m’en as menacé, tu publies jamais ces confidences, ils te se-