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plir ses devoirs. Comprends-tu maintenant qu’il faut quelque vertu à cette vie confiée à elle-même pour résister à toutes les séductions qui peuvent l’entourer, et à laquelle l’occasion ne manque pas pour faillir ? Car, à défaut de sagesse, il n’y a pas autour d’elle, comme autour de l’existence de vos jeunes filles, la vigilance toujours présente d’une mère et les obstacles matériels de votre monde, qui ne laissent pas à ce qu’on appelle une demoiselle une heure où elle ait à subir l’entraînement d’un entretien que personne n’entend et ne surveille. Comprends-tu que cette vertu doit être bien grande, non-seulement pour résister à cette liberté, mais encore à l’immense étendue qu’a la séduction pour se déployer devant elle ? Car vos femmes, baron, quand vous les séduisez, ou plutôt quand elles se laissent séduire, vous n’avez pas à leur montrer cet infernal paradis de la richesse et du luxe qu’elles habitent comme vous. Lorsqu’elles s’y égarent, elles n’ont d’excuse que la soif de l’amour. Mais ces malheureuses filles qui sont à la porte de ce beau jardin aux fruits d’or, qu’elles voient et qu’elles ne peuvent goûter, celles-là ont de bien plus dures tentations à repousser. Vos femmes se perdent dans les palais et les frais bocages où elles traînent leur oisiveté ; les filles pauvres se perdent aussi quelquefois, mais c’est parce que la route qu’elles parcourent leur brise les pieds et que le fardeau de leur misère les écrase. Vous vous croyez riches en jeunesse et en espérances, vous, gens gorgés d’or, et vous êtes les vrais pauvres en cette seule et véritable richesse de l’homme, car vos rêves ne peuvent aller qu’à un pas devant vous, et les rêves de ceux qui n’ont rien ont d’immenses espaces à parcourir. Ce n’est pas dans les beaux salons que se font les plus beaux contes d’avenir dont la jeunesse s’amuse, ce n’est pas sous sa robe de soie qu’une noble fille est en proie à tous les désirs ; c’est sous une robe de toile que battent tous les entraînements, c’est dans un atelier de pauvres belles filles que s’enfantent les plus grandes et les plus joyeuses espérances, les beaux amants, les riches atours, les plaisirs dorés, les triomphes inattendus ; c’est là qu’est presque tout le bonheur de la jeunesse, l’espérance. Comprends-tu enfin que, lorsqu’il se trouve dans cette position commune de toutes les filles du peuple une fille à qui la nature a donné plus que le désir d’une vie de distinction, à qui elle en a donné le besoin ; comprends-tu que, lorsque cette jeune fille ajoute à la vul-