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Madame Barnet s’y laissa prendre et répondit étourdiment :

— Mon mari ! il ne pouvait pas le sentir.

Le baron ne crut pas devoir faire remarquer à madame Barnet la confidence qu’elle venait de laisser échapper, attendu qu’ayant encore à l’interroger, il ne voulait point la mettre sur ses gardes. Il reprit donc d’un air assez indifférent.

— Je profiterai de vos bons avis sur la maison de M. Dilois, avec lequel je n’ai d’autre affaire que quelques ventes de laine ; mais j’ai des capitaux à placer sur hypothèques, et je voudrais savoir l’état des biens d’un homme fort considérable.

— Pour cela, monsieur le baron, il n’y a rien de mieux que le bureau de l’enregistrement.

— Sans doute, Madame ; mais je ne puis y aller moi-même, tout se sait à Toulouse, et peut-être M. le marquis du Val m’en voudrait.

M. le marquis du Val désire emprunter sur hypothèques ? s’écria madame Barnet d’un air de stupéfaction ; ce n’est pas possible ; M. le marquis du Val est notre client, et jamais il ne nous a parlé de cela.

— Ah ! dit Luizzi, M. du Val est votre client ?

— Lui et bien d’autres des meilleures maisons de Toulouse, sans faire tort à la vôtre, monsieur le baron, et ce n’est pas d’hier. Les affaires de la famille du Val sont dans l’étude depuis plus de cinquante ans, et M. Barnet a rédigé le contrat du marquis actuel ; c’est un événement qui m’a tellement frappée, que je m’en souviens comme de ce matin ; il me semble toujours voir la figure de M. Barnet quand il rentra de la signature. Il avait l’air d’un imbécile.

— Qu’était-il donc arrivé ?

— Ah ! monsieur le baron, je ne puis vous le dire, c’est le secret du notaire, c’est sacré. Si je le connais, c’est que M. Barnet était si troublé dans le premier moment, qu’il a parlé sans savoir ce qu’il disait.

— Je suis discret, Madame.

— Il n’y a si bon moyen de se taire que de ne rien savoir.

— Vous avez raison, répondit Luizzi ; je ne vous demande rien, mais je suppose qu’à présent madame du Val est heureuse ?

— Dieu le sait, monsieur le baron, et Dieu doit le savoir, car maintenant elle est toute en lui.

— Elle est dévote ?