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lancer madame Barnet pour qu’elle racontât tout ce qu’il voulait savoir. Il reprit donc, lorsque madame Barnet eut fini :

— Je ne désire point faire d’acquisition, en ce moment du moins ; mais je suis en relations d’affaires avec plusieurs personnes de Toulouse, avec M. Dilois entre autres.

Madame Barnet fit la grimace.

M. Dilois aurait-il fait de mauvaises affaires ? reprit Armand.

— Ma foi, monsieur le baron, il en a fait une mauvaise, qui dure encore.

— Laquelle ?

— Il a épousé sa femme.

— Est-ce qu’elle le ruine ?

— Je ne suis pas dans le comptoir de M. Dilois ; je ne veux pas dire de mal de sa maison ; le pauvre homme n’en sait pas plus que moi là-dessus ; sa femme et son premier commis, M. Charles, lui font son compte, et pourvu que le bonhomme ait de quoi aller prendre sa demi-tasse et faire sa partie de dominos chez Herbola, il n’en demande pas davantage.

— Mais madame Dilois doit s’entendre au commerce ?

— Elle s’entend à tout ce qu’elle veut, la fine mouche ; une grisette qui avait fait des enfants avec tout le monde, et qui s’est fait épouser par le premier marchand de laines de Toulouse ; ah ! elle en mènerait trente comme son mari par le nez.

— Y compris M. Charles ?

M. Charles est un autre finot ; je le connais aussi celui-là ; il a été clerc chez nous ; il nous a quittés pour se faire commis chez M. Dilois. C’était dans le temps que nous voyions ces gens-là ; mais j’ai déclaré à mon mari que, s’il recevait encore cette pécore, je lui fermerais la porte au nez. Ah ! Monsieur, avant ce temps, Charles était un jeune homme charmant, attentif, dévoué, prévenant.

— Mais il est peut-être tout cela pour madame Dilois ?

— Mon Dieu ! monsieur le baron, qu’il soit ce qu’il voudra pour elle ; ce n’est pas mon affaire.

— Je l’ai entrevu, ce me semble : c’est un fort beau garçon.

— C’est-à-dire qu’il a été bien ; mais pas d’âme, monsieur le baron, pas d’âme ! après toutes les bontés que nous avons eues pour lui…

M. Barnet l’aimait sans doute beaucoup ? reprit Luizzi d’un air candide.