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ce qu’il croyait posséder ne lui appartenait pas. Un homme avait paru dans le pays, un homme armé d’actes authentiques qui prouvaient que les propriétés de M. le baron de Luizzi père lui avaient été vendues par acte sous seing privé, à la condition par l’acquéreur d’en laisser jouir le baron tant qu’il vivrait. Si cet homme ne s’était pas présenté à l’époque de l’ouverture de la succession, c’est qu’il était alors en Portugal, où il avait transmis ses droits à un certain M. Rigot qui faisait poursuivre l’expropriation.

Il est inutile de chercher à peindre la rage et l’épouvante de Luizzi à la lecture de ces fatales lettres. Un moment il crut rêver, et il s’agita comme pour repousser l’horrible cauchemar dont il était poursuivi ; il ouvrit sa fenêtre comme si la fraîcheur de l’air devait chasser le délire qui battait dans sa tête ; puis il s’imagina un moment que Satan avait voulu lui donner cet effroi pour le punir de son jugement sur le compte des autres, et, dans un violent accès de rage, il agita de nouveau son infernale sonnette. Le Diable reparut, toujours triste, toujours calme, toujours sérieux.

— Est-ce vrai ? s’écria Luizzi.

— C’est vrai, répondit le Diable.

— Ruiné ?

— Ruiné.

— C’est ton œuvre, Satan ! c’est ton œuvre ! s’écria le baron.

Et, dans un moment d’égarement indicible, il s’élança vers le Diable ; mais sa main ne put saisir ce corps puissant qui était devant lui et qui lui glissait entre les doigts comme un serpent. Luizzi, emporté jusqu’à la folie par son impuissance, s’acharna à poursuivre cet être insaisissable jusqu’à ce que, épuisé de rage et de lassitude, il tombât sur le sol avec des cris, des larmes et des sanglots furieux. Sa douleur s’abattit plutôt qu’elle ne se calma, et il n’avait pas encore rassemblé ses idées, qu’il revit Satan debout devant lui, le regardant avec son triste et cruel sourire. En ce moment Luizzi, soulagé par ses larmes, pressa sa tête dans ses mains en s’écriant :

— Que faire, que faire ?

— Te marier, lui répondit le Diable.

Quand le baron fut revenu tout à fait de ce furieux désespoir, il se trouva seul et reconnut que le château était plongé dans le plus profond silence. Alors il se mit à réfléchir sur sa position, et peu à peu il se laissa aller à murmurer en lui-même ce honteux monologue :

— Me marier, a dit Satan, et avec qui ? avec l’une de ces