Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/387

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Rigot, d’abord l’esclave, et ensuite l’ami et le confident d’Akabila, lui persuada d’assassiner son père et de s’emparer de ses immenses trésors. Il lui promit de le mener dans un pays où il trouverait des jouissances inconnues à sa nation. Une fois le crime accompli, tous deux s’échappèrent et abordèrent un navire portugais qui les débarqua à Lisbonne. Mais une fois sur la noble terre de la civilisation, les rôles changèrent : Akabila devint le domestique de son ancien esclave, et tu as vu comment lui a profité son parricide !

— Mais comment se fait-il que Rigot garde auprès de lui un pareil confident de son crime ?

— Oh ! ceci passe ton intelligence, mon maître. Pour comprendre ce que fait Rigot, il faut avoir son âge, être de sa race et avoir été esclave.

— Que veux-tu dire ?

— Il faut avoir vécu manant sur une terre de gentillâtre qui ruina la famille de Rigot pour un délit de braconnage, il faut avoir reçu la bastonnade pour n’avoir pas apprêté assez vite la pipe de son maître.

— Ainsi, c’est une vengeance ?

— Et un plaisir. Tu ne peux t’imaginer la volupté que cet homme éprouve à donner des coups de pied au cul à un fils de roi ; tu ne te fais aucune idée de sa joie à voir ramper autour de lui ces basses cupidités qui encombrent sa maison.

— Il est certain, dit Luizzi, qu’elles sont ignobles.

— De quel droit les juges-tu si sévèrement ?

— Il me semble qu’elles ne peuvent guère être plus honteuses.

— Il y en a de plus honteuses encore.

— Et quels hommes peuvent pousser plus loin l’abandon de toute pudeur ?

— Toi peut-être, dit le Diable.

— Moi ? s’écria Luizzi.

— Toi, maître, si jamais la misère t’arrive, si jamais tu es sevré de ces plaisirs que tu crois dédaigner parce qu’ils abondent dans ta vie ; toi, qui te crois un cœur sans ambition parce que tes désirs n’en voient pas de difficile ; toi, qui serais peut-être le plus plat de ces coureurs de dot si tu avais auprès de toi un luxe qui t’enivrât et auquel tu ne pourrais pas atteindre par d’autres moyens ; toi, qui méprises si souverainement des gens qui n’ont que le tort d’être pauvres.

— Tu te trompes, Satan, reprit Luizzi avec dédain. Je puis aimer la fortune, je puis être ambitieux, mais jamais je ne me ravalerai à épouser une femme aux conditions qu’y a mises ce misérable qui est le maître ici. Jamais je ne donnerai mon nom à une femme dont la vie a commencé, sans doute, en se donnant à quelque manant qui est le père de mademoiselle Ernestine.

— Tu es bien dur, mon maître, dit Satan. Tu oublies que