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reprendre courage, et lui répondit en tenant les yeux baissés :

— Vous savez ma position, Monsieur ; je suis sans fortune. La mort de M. Peyrol m’a laissée dans la misère ; car, comme il est mort sans enfants, sa famille a réclamé et repris tous les biens qu’il possédait…

— Quoi ! dit Luizzi étonné, mademoiselle Ernestine…

— N’est pas la fille de M. Peyrol, répondit Eugénie en relevant la tête ; c’est une triste histoire, Monsieur…

— Qui vous coûterait peut-être trop à raconter, reprit le baron d’un air froid ; je ne veux pas vous imposer cette obligation, mais je suis prêt à entendre le motif qui vous a amenée chez moi.

— Non ! reprit tristement madame Peyrol, blessée du ton de Luizzi.

Alors elle se leva, et elle ajouta en secouant la tête :

— Non, c’est impossible ! pardonnez-moi mon imprudente démarche, Monsieur, et oubliez-la.

— Comme il vous plaira, Madame, dit Luizzi en s’apprêtant à la reconduire.

Mais, au moment où madame Peyrol allait ouvrir la porte, elle s’arrêta et se retourna vivement vers Luizzi :

— Cependant, s’écria-t-elle avec résolution, votre présence dans ce château m’autorise à vous parler. Le choix de ma fille est fait. M. Bador, en s’adressant à elle, a montré qu’il la connaissait bien et qu’il me connaissait bien aussi ; il sait que, si la fortune que mon oncle nous destine me tombe en partage, ma fille sera aussi riche que moi ; il sait que, si Ernestine a été favorisée par mon oncle, elle ne détournera rien de sa fortune au profit de sa mère.

— Quoi ! vous croyez, Madame… ! dit Luizzi.

— J’en suis sûr, Monsieur. Ce malheur peut encore m’arriver, mais enfin il peut arriver aussi que cette fortune m’appartienne, et alors je vous annonce que je suis encore plus épouvantée de la partager avec l’un des hommes que vous avez vus dans cette maison, que de garder ma misère. Vous seul, Monsieur, n’avez montré ni cupidité ni lâche empressement. Je n’ai eu qu’un jour pour vous juger, et je n’ai qu’une heure pour vous dire qui je suis ; mais, puisque vous êtes venu dans ce château pour le même motif qui y amène tous ceux que j’y vois, je puis vous parler franchement et vous dire que j’ai fixé mon choix sur vous. Je vous le dis, Monsieur, parce que j’ai à vous demander votre engagement d’honneur de me permettre de disposer de la moitié de cette dot, si la volonté de mon oncle a été de me la donner.

Luizzi fut très-embarrassé de cette étrange déclaration ;