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mais les détails de ce singulier récit se perdirent dans les contorsions et les larmes du Malais. Le baron allait essayer de le faire mieux s’expliquer, lorsque tout à coup la voix retentissante de M. Rigot se fit entendre dans le corridor, appelant Akabila de toutes ses forces. Le Malais devint tout tremblant, et il allait se cacher derrière un rideau, lorsque M. Rigot ouvrit brusquement la porte et l’aperçut.

— Que fais-tu là ? lui dit-il d’un air furieux.

Le jockey prit son plus gracieux sourire, et, montrant les bottes qu’il avait déposées sur une chaise, il lui dit d’un ton de voix plein de douceur :

— Rhum, rhum.

M. Rigot commença par lui donner un grand coup de pied où il est reçu de donner des coups de pied, en lui disant :

— Animal, est-ce qu’on met des bottes pour se coucher ?

Le Malais ne poussa pas la moindre plainte, mais il jeta à Luizzi un regard qui voulait dire qu’il comptait sur lui. Un moment après M. Rigot quitta la chambre du baron, non sans s’être excusé de la petite scène qui venait d’avoir lieu.

— Nous autres manants, dit-il, nous avons le pied et la main un peu lestes ; mais, avec des brutes pareilles, il n’y a pas de meilleurs moyens de se faire comprendre.

Luizzi, demeuré seul, réfléchit à l’étrange confidence qu’il venait de recevoir, et se demanda s’il n’était pas de sa probité d’avertir les magistrats de ce qu’il soupçonnait. Cependant il craignit de se laisser aller encore à une démarche inconsidérée comme il avait fait pour Henriette : démarche dont les résultats lui étaient restés à peu près inconnus, à l’exception de la présence de cette malheureuse victime dans une maison de fous. En conséquence le baron voulut savoir toute la vérité sur cette aventure dont il croyait avoir deviné les principales circonstances, et il s’apprêtait à appeler le Diable lorsqu’il entendit frapper légèrement à sa porte. On entra chez lui immédiatement, et il vit madame Peyrol, qui resta un moment immobile et confuse, et comme épouvantée de l’action qu’elle venait de faire. Cependant Luizzi s’avança vers elle, et, lui présentant un siége, il lui dit :

— Pourrais-je savoir, Madame, ce qui me vaut l’honneur de votre visite ?

Rien ne saurait peindre l’embarras et le trouble de cette malheureuse femme. Elle chercha à s’excuser en balbutiant, puis enfin, pressée par les questions de Luizzi, elle sembla