Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/380

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

les quatre associés épouvantés, est-ce qu’elle est des deux millions ?

— Non, non, Messieurs, reprit M. Rigot, je tiendrai ma parole ; les deux millions appartiendront à madame Peyrol ou à sa fille, mais j’ai décidé qu’il y aurait aussi un million pour madame Turniquel. Et ce million-là n’a pas de mauvaise chance ; car je le donnerai bien certainement à ma charmante sœur. Par conséquent, celui de vous qui réussira à lui plaire est sûr de son affaire ; vous n’avez qu’à voir si cela vous tente, vous avez jusqu’à demain au soir.

M. Rigot quitta la salle à manger sans ajouter un mot à cette nouvelle proposition, et laissa les concurrents dans une étrange perplexité.

— Diable ! fil l’avoué, voilà qui change étrangement les choses.

— Est-ce que vous auriez le courage d’affronter la grand’mère ? dit M. de Lémée.

— Je crois que c’est au-dessus des forces humaines, repartit le clerc de notaire.

— Bah ! dit M. Furnichon, on a vu des choses plus extraordinaires que cela, et si pour ma part j’étais sûr de réussir…

— Oui ; mais je vous préviens que vous ne réussirez pas, dit M. Bador. Il y a de par le monde un certain Petit-Pierre, postillon à Mourt, qui a été dans les bonnes grâces de mademoiselle Rigot avant qu’elle fût madame Turniquel, et celui-là, je crois, aura la préférence.

— Est-ce sûr ? demanda encore Furnichon.

Le cœur levait à Luizzi ; mais, M. Bador ayant déclaré la vieille imprenable, tous se récrièrent à l’envi contre l’idée de se sacrifier à une femme comme madame Turniquel, et Furnichon plus haut que les autres.

— Allons, allons, se dit tout bas le baron, la cupidité ne va pas encore si loin que je le croyais.

Ils en étaient là, lorsque le clerc reprit la parole :

— Mais en quoi donc trouvez-vous que cela change la face des choses, monsieur Bador ?

— En ce que la fortune qui n’était que de deux millions arrive à trois ; car enfin quelqu’un héritera de ce million, et c’est autant d’assuré, tandis qu’au train dont va le vieux Rigot, il sera ruiné dans un an.

— C’est vrai, dit M. Furnichon, cet homme finira par nous retomber sur les bras.

— Ce sera encore une charge, ajouta le clerc, à laquelle il faut penser.

— Mais où diable M. Rigot a-t-il pris tous ses millions ? dit le commis.

— Oh ! ça, Dieu le sait, répondit l’avoué. Tout ce que je puis vous dire, c’est qu’ils existent en bonnes propriétés bien et dûment soldées, et en dépôts de fonds à la banque de France.

— Ma foi ! re-