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Pendant ce temps, Akabila sautait autour de la salle à manger comme un chat sauvage, et on se leva de table avant qu’on pût connaître l’opinion de Luizzi sur l’importante question qu’on venait d’agiter.


XXXII

HONNÊTE TRANSACTION.


Quelques heures s’étaient passées depuis ce mémorable déjeuner, si singulièrement interrompu par l’assiette de bottes qu’Akabila avait servie à Luizzi. Le baron voulut en demander l’explication à Rigot, qui ne répondit qu’en riant comme un possédé. Madame Turniquel se contenta de dire :

— Cette bête de sauvage n’en fait pas d’autres, mais c’est une manie de Rigot ; ça l’amuse, il faut le laisser faire.

Quant à Ernestine, ce n’était pas une fille à qui l’on pût demander quelque chose qui ne l’intéressât point personnellement. Occupée de sa personne, de sa figure, de sa toilette, elle semblait avoir pris pour les façons aisées et peu prétentieuses de Luizzi le mépris le plus profond ; c’est à peine si elle daignait écouter le peu de mots qu’il lui adressait de temps en temps. Il avait eu recours à madame Peyrol, qui lui avait excusé la folie du jockey d’une manière assez plausible.

— Mon oncle, avait-elle dit, a ramené ce Malais de Bornéo, et il a voulu le rendre utile. Il a tenté d’en faire un groom, un cocher, un valet de chambre, que sais-je ? Mais, n’ayant pu y réussir, il lui a assigné pour tout emploi celui de cirer les bottes. À vrai dire, mon oncle le traite un peu comme un singe, et, quand Akabila a bien fait son devoir, il lui donne un verre de rhum dont le malheureux est très-friand. Aujourd’hui on aura oublié de lui donner sa ration, et, pour l’obtenir, il a pris les premières bottes qu’il a trouvées, les a cirées, et les a triomphalement apportées pour recevoir sa récompense.

Luizzi se contenta de cette explication, quoique la présence de ce Malais dans cette maison l’étonnât malgré lui, et que la circonstance des bottes l’inquiétât sans qu’il pût dire