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ruisseau, comme on dit, nous ne savons pas les bonnes manières. Je n’ignore pas que j’aurais dû vous faire une visite en ma qualité de maître de maison ; mais nous autres gens du peuple nous ne connaissons pas les usages. Pas vrai, dit-il en se retournant vers la dame qui était arrivée en voiture, pas vrai, madame la comtesse de Lémée ?

Il revint ensuite à Luizzi, et dit :

— J’ai reçu la lettre de mon ami Ganguernet qui m’annonce votre arrivée, c’est-à-dire que je me la suis fait lire, parce que nous autres paysans, voyez-vous, nous sommes des ignorants, nous ne savons rien ; mais je vous déclare que je suis enchanté de recevoir chez moi M. le baron Armand de Luizzi, qui a deux cent mille livres de rentes, à ce que dit M. Ganguernet. J’ai bien l’honneur de vous saluer.

M. Rigot quitta Luizzi que tous les regards examinèrent avec curiosité, particulièrement ceux du jeune comte de Lémée, et il alla vers les deux convives parisiens du souper du baron.

— Qui de vous, Messieurs, est le notaire ? demanda M. Rigot.

— C’est moi, dit M. Marcoine d’un air charmant, en tirant des papiers de sa poche. L’acquisition de votre hôtel du faubourg Saint-Germain est terminée, en voici le contrat ; j’ai été spécialement chargé de cette affaire, et je crois qu’elle a été menée avec quelque habileté ; j’ai obtenu l’hôtel à plus de cent mille francs au-dessous de l’estimation.

— Je vous en remercie, dit M. Rigot, parce que, voyez-vous, nous autres petit monde, c’est bon à gruger.

— J’ai voulu moi-même vous apporter ce contrat, reprit le clerc d’un ton précieux, afin de vous en mieux faire apprécier les avantages.

— Vous êtes bien aimable, repartit M. Rigot, parce que voyez-vous, nous autres gros Normands, nous n’entendons rien du tout aux affaires.

Puis il se tourna vers le commis d’agent de change et lui dit :

— Et vous, Monsieur, à quoi dois-je l’honneur de votre visite ?

— Monsieur, répondit le commis, je suis venu pour le placement des fonds que vous avez laissés chez votre banquier.

— Est-ce que je n’avais pas dit à votre maître de m’acheter du trois pour cent ?

— Le placement lui a paru peu avantageux, reprit le commis.

— Je veux du trois pour cent, dit M. Rigot, je veux des fonds de nobles et d’émigrés ; j’ai déjà une terre de marquis, j’ai un hôtel de duc, je veux