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— Comment vous va, madame la comtesse ?

— Assez mal, lui répondit la belle dame en embrassant la vieille. Ce vent d’ouest m’a donné un mal de nerfs épouvantable.

— Oh ! que je connais ça, répondit madame Turniquel, j’en suis toujours prise par ces temps-là ; ça me donne des crampes terribles dans les jambes.

Puis elle se retourna vers le beau jeune homme, et reprit :

— Et vous, monsieur le fils, comment que cela va ce matin ?

— Très-bien, très-bien, répondit le jeune homme en donnant une poignée de main à la sœur de M. Rigot, si ce n’est que les chemins sont si mauvais pour arriver chez vous que je suis tout brisé.

— Oh ! oh ! je connais ça, reprit la vieille. Quand je conduisais les bêtes aux champs, il y avait des fondrières où l’on enfonçait jusqu’aux genoux.

— Ah ! madame Turniquel, dit l’élégant, vous avez dû faire une charmante bergère ; vous étiez Estelle, et il devait y avoir plus d’un Némorin.

La belle dame fit un signe de mécontentement au jeune homme, tandis que madame Turniquel disait :

— Qu’est-ce que c’est, Estelle et Némorin ?

— Ah ! mon Dieu, dit la dame, c’est un roman de M. de Florian.

M. de Florian ! dit madame Turniquel, je l’ai beaucoup connu ; il avait beaucoup d’estime et de considération pour moi, et il me lisait tous ses livres.

Probablement la conversation eût continué longtemps sur ce ton, si madame Peyrol n’était encore venue interrompre les récits de madame sa mère. Tout le monde rentra dans la maison, et Luizzi entendit un moment après sonner la cloche qui annonçait le déjeuner. Il descendit, et, grâce au bruit de la conversation de madame Turniquel, il arriva dans un assez beau salon où étaient réunies déjà une douzaine de personnes. Luizzi y retrouva l’avoué, le clerc et le commis ; il y avait en outre la dame et le jeune homme qu’il avait vus descendre de voiture, plus une jeune personne d’une rare beauté, qu’à sa ressemblance avec madame Peyrol le baron jugea devoir être la petite-nièce de M. Rigot. Celui-ci était dans un coin du salon, causant avec l’avoué et jetant des regards interrogateurs sur toutes les personnes qui étaient présentes. Lorsqu’on annonça le baron, il se retourna et vint à lui.

— Mille pardons, lui dit-il avec un ton de franchise, je suis un vieux soldat très-mal élevé. Nous autres, nés dans le