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— Vous êtes plus belle et plus spirituelle qu’il ne faut pour réussir partout.

La marquise secoua lentement la tête.

— Vous ne croyez pas un mot de ce que vous dites. Je suis bien vieille, mon pauvre Armand, vieille de cœur surtout.

Armand s’approcha doucement de sa cousine et lui dit en baissant la voix :

— Vous n’êtes pas heureuse, Lucy ?

Elle jeta un regard furtif sur sa chambre, et répondit rapidement et très-bas :

— Revenez à huit heures souper avec moi, nous causerons. Et, d’un signe de tête, elle le pria de s’éloigner ; il lui prit la main, Lucy serra la sienne avec une étreinte convulsive.

— À ce soir, à ce soir, reprit-elle tout bas. Et elle rentra rapidement chez elle.

La porte ne s’ouvrit pas tout de suite. Il y avait derrière assurément quelqu’un qui écoutait et qui ne s’était pas retiré assez vite. Luizzi, demeuré seul, fut tellement frappé de cette idée qu’il ne s’éloigna pas sur-le-champ, et il entendit aussitôt le bruit d’une voix d’homme qui paraissait parler avec colère. Cette découverte le déconcerta ; il sortit tout préoccupé. Un homme enfermé dans la chambre d’une femme, et qui parle avec le ton que Luizzi avait entendu ; cet homme, quand ce n’est ni un mari, ni un frère, ni un père, cet homme est un amant. Un amant ! la marquise du Val ! Luizzi n’osait le croire. Ces deux idées ne pouvaient s’associer dans sa tête. Il avait tant de souvenirs qui protégeaient la jeune femme contre une pareille supposition, qu’il songeait à découvrir quels chagrins nouveaux avaient pu atteindre la malheureuse Lucy. Car il avait connu Lucy malheureuse, Lucy, jeune fille de dix-neuf ans, en proie à un amour profond, auquel elle avait su résister de toutes les forces d’une vertu chrétienne. Luizzi se remettait tous ces souvenirs en mémoire, en se dirigeant vers la demeure de M. Barnet, son notaire, avec lequel aussi il désirait faire connaissance. Il arriva bientôt chez lui. C’était le jour des maris absents. Il fut reçu par madame Barnet, petite femme maigre, sèche, les cheveux châtains, l’œil bleu terne, les lèvres minces.

Quand la servante ouvrit la porte de la chambre à coucher