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durant ma longue maladie. Si je ne vais pas vous remercier personnellement, c’est que je craindrais de manquer de reconnaissance en faisant connaître au monde une bonté et une indulgence si rares. Toutefois, comme je ne saurais mettre dans un billet tout ce que j’éprouve de gratitude, j’ai chargé l’un de mes amis d’aller vous la témoigner. Cet ami est le comte de Bridely. Il porte un des plus beaux noms de France ; si vous voulez lui permettre de se présenter chez vous, il apprendra à le bien porter. Le besoin d’un air plus pur me force à quitter Paris, et je pars avec le regret de ne pouvoir vous dire moi-même quels sentiments, quel respect et quelle reconnaissance vous m’avez inspirés.

« Armand de Luizzi. »


DEUX MILLIONS DE DOT.


XXX

LA DERNIÈRE POSTE.


Il était sept heures du soir lorsque Luizzi arriva à Mourt, petit village à quelques lieues de Caen et le dernier relais de poste de la route de Paris à cette capitale de la Basse-Normandie. À peine fut-il devant la porte de l’hôtel de la poste, qu’il fit appeler l’un des postillons, et lui demanda si avant la nuit close il avait le temps de se faire conduire au Taillis, propriété de M. Rigot. Celui à qui il adressa cette question était un homme déjà vieux, maigre, qui avait laissé sur la selle de son cheval tout ce que la nature avait pu lui accorder de chair à l’endroit des cuisses et des jambes ; mais qui n’avait pas laissé de même au fond de son pichet de cidre ce que sa qualité de Normand lui avait transmis de ruse et de malice. Au lieu de répondre à Luizzi directement, il appela un garçon d’écurie et lui dit :

— Sais-tu, toi, ce qu’il y a de chemin d’ici au Taillis ?

— Ma foi ! non, répondit le garçon en rentrant dans l’hôtel et en échangeant un imperceptible sourire avec le postillon.

— Comment ! s’écria le baron, vous autres gens du pays, vous