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fermé derrière elle la porte de la chambre qu’elle avait entr’ouverte.

Armand courut vers la marquise, lui baisa tendrement les mains, et tous deux s’assirent au coin du feu. Lucy regarda le baron d’un air de surprise charmée et protectrice. Madame du Val était une femme de trente ans, Luizzi en avait vingt-cinq, et cette manière de l’examiner était permise à une femme qui avait vu jadis jouer près d’elle un enfant de quatorze ans, devenu un beau jeune homme. Cet examen fut silencieux, et, par une transition rapide, la figure de madame du Val prit un air de tristesse profonde ; une larme furtive lui vint aux yeux. Luizzi se trompa sur la cause de cette tristesse.

— Vous regrettez sans doute comme moi, lui dit-il, que le bonheur de nous revoir vienne d’une cause si triste, et que la mort de mon père…

— Ce n’est pas cela, Armand, repartit la marquise ; je connaissais à peine votre père, et vous-même, éloigné de lui depuis dix ans, vous n’avez pas dû éprouver, à la nouvelle de sa mort, ce chagrin profond qu’occasionne la perte d’une affection à laquelle on s’est longuement habitué.

Luizzi ne répondit pas, et la marquise reprit après un moment de silence :

— Non, ce n’est pas cela ; mais votre arrivée est venue dans un moment… un moment bien singulier en effet.

Un rire triste erra sur les lèvres de Lucy, puis elle continua, comme s’excitant à ce rire :

— En vérité, Armand, la vie est un singulier roman. Êtes-vous pour longtemps à Toulouse ?

— Pour huit jours.

— Vous retournerez à Paris ?

— Oui.

— Vous y trouverez mon mari.

— Comment ! député depuis huit jours, il est déjà en route ? la session ne commence que dans un mois. Je pensais que vous partiriez ensemble.

— Oh ! moi, je reste : j’aime Toulouse.

— Vous ne connaissez point Paris ?

— Je le connais assez pour ne pas vouloir y aller.

— Pourquoi cette antipathie ?

— Oh ! elle ne tient qu’à moi. Je ne suis plus assez jeune pour briller dans les salons, je ne suis pas encore assez vieille pour faire de l’intrigue politique.