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mez-moi !… Je vous aime jusqu’à avoir peur de vous. »

Cette lettre resta sans réponse ; quelques jours après, le général alla la chercher. Olivia n’était pas seule ; un des merveilleux du temps était avec elle. Le général eut toutes les impatiences, toutes les excitations d’un amour jaloux, et Olivia toutes les soumissions d’un amour vrai. Elle renvoya le merveilleux ; elle le renvoya très-maladroitement, assez maladroitement pour que, le lendemain, tout Paris fût informé que M. de Mère était son amant en titre. Il l’apprit, et il accourut furieux et désolé chez Olivia. Elle le savait aussi, et répondit en souriant à la colère du général :

« — Je vous sais gré de vous être ainsi emporté pour moi. Vous venez de me faire plus de bien que je n’en ai éprouvé de ma vie. Mais je vous avoue que cette calomnie ne m’a point blessée. J’ai le droit de dire que c’est une calomnie, non point au monde, mais à moi qui n’ai pas voulu être à vous et qui ne vous appartiendrai jamais. »

Et ce mot : Jamais ! fut vrai ; et cela doit te paraître d’autant plus surprenant qu’Olivia eut à combattre non-seulement le penchant de son cœur, mais encore l’attrait de cet homme ardent, dont la parole vibrait, dont le regard rayonnait d’amour, et qu’elle ne pouvait entendre ni regarder sans être troublée comme une enfant et palpitante de désirs. Ce ne fut pas le combat d’un jour, ce fut un combat long et douloureux dont elle sortit vingt fois triomphante, ce fut un combat contre tous les délires de la passion ; car M. de Mère la poursuivit partout, à toute heure. Obligé de la quitter pour rejoindre l’armée, il profitait d’un congé de quinze jours, d’un repos de quelques semaines, pour revenir à Paris de deux cents lieues de distance ; il arrivait chez elle tout à coup, quand elle rêvait à lui, le croyant bien loin, et il lui disait en entrant :

« — Je viens de Rome pour passer une heure avec vous. »

Alors Olivia lui tendait les bras, le serrait sur ce cœur qui bondissait d’un bonheur ineffable ; puis, c’était un long regard qui ne le quittait pas, qui le dévorait, qui lui envoyait son âme et s’enivrait à la sienne, et c’était tout. Car elle fuyait, s’il voulait enfreindre la résolution inébranlable qu’elle avait prise. C’est qu’Olivia aimait l’amour si nouveau qu’elle éprouvait ; elle aimait ce sentiment fier, absolu, exclusif, qui la dominait et qu’elle inspirait, et elle n’eût pas voulu le ris-