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vous devenue ?

« — C’est mal de m’interroger, moi, pauvre femme, heureux que vous êtes ! Ce que je suis devenue ? Au dehors, je suis restée ce que j’étais, fuyant le monde ou ne le cherchant que là où il est assez nombreux pour ne pas être importun, fatiguée de cette exclusion qui me relègue dans une société qui me semble méprisable maintenant et que je n’ai pourtant pas le droit de mépriser, pensant beaucoup à vous, qui m’avez fait tant de mal, et ne trouvant que là la consolation du mal que vous m’avez fait.

« — Olivia, est-vrai ? reprit M. de Mère.

« — Oui, c’est vrai, je vous aime. Oh ! je puis bien vous le dire sans danger. Mais à quoi cela me mènera-t-il ? À être votre femme ? c’est impossible, je le sais… Croyez que bien sincèrement je n’ai pas cette prétention. À être votre maîtresse ? jamais, Victor, jamais.

« — Vous savez mon nom ! lui dit le général tout surpris.

« — Oui, je l’ai demandé à madame de Cauny.

« — Vous m’aimez, reprit M. de Mère, vous m’aimez ! et vous croyez que je ne vous mériterai pas, moi, qui n’ai plus d’intérêt que votre pensée ! car vous m’aviez compris hier, quand je vous ai remerciée ; vous m’avez compris tout à l’heure, quand je vous racontais avec quel soin je cherchais à vous faire parvenir, par la voix publique, le peu de gloire que je n’osais vous dédier. Et vous croyez que je ne voudrai pas obtenir tout votre amour ?

« — Non, dit Olivia en détournant la tête, non, car vous avez de cet amour tout ce qui en est bon et saint. Ne demandez rien à la femme, rien, entendez-vous ? Ne me faites pas rougir ; pour moi, ce ne serait pas de la pudeur, ce serait de la honte. Restons où nous en sommes. Ne m’ôtez pas le bonheur que vous m’avez donné.

« — Folie ! dit le général en souriant ; n’êtes-vous pas plus belle qu’aucune femme au monde ?

« — Vous me trouvez belle ? reprit Olivia en souriant et en caressant Victor du regard ; tant mieux ! vous aussi, reprit-elle en riant, je vous trouve beau, très-beau, en vérité ! ce grand front bruni par le soleil d’Italie, cette cicatrice qui le pare d’une si noble couronne… Oui… oui, je vous trouve beau, et je vous aime. »

Le général prit les mains d’Olivia et s’approcha. Elle lui dit :

« — Demeurez-vous longtemps à Paris ?

« — Deux mois.

« — Deux mois ! c’est beaucoup, quand on a de si belles choses à faire ailleurs.

« — Ne m’aiderez-vous pas à les trouver courts ?

« — Pas souvent. Je ne suis pas libre comme autrefois. Je suis très-entourée maintenant. J’ai retrouvé des pa-