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mordant doucement la lèvre inférieure et en montrant à Luizzi l’émail humide de ses dents éblouissantes ; rassurez-vous, il y a six ans je n’étais pas mariée, je n’étais pas madame Dilois.

Elle n’avait pas achevé sa phrase, que la porte s’ouvrit et qu’une voix d’enfant dit timidement :

— Maman, monsieur Lucas veut absolument vous parler.

C’était la jeune fille de dix ans que Luizzi avait remarquée dans le bureau.

Cette apparition, au moment où madame Dilois venait de dire qu’il n’y avait pas encore six ans qu’elle était mariée, fut comme une révélation pour Luizzi. À ce nom de maman adressé à madame Dilois, et qui cependant pouvait s’expliquer naturellement si cette enfant était la fille de monsieur Dilois, Luizzi regarda vivement la charmante marchande. Elle était toute rouge et tenait les yeux baissés.

— C’est votre fille, Madame ? dit Luizzi.

— Je l’appelle ma fille, Monsieur, répondit d’un air simple madame Dilois.

Puis elle reprit :

— Caroline, je vais aller parler à monsieur Lucas ; laissez-nous.

Madame Dilois se remit tout à fait, et dit à Luizzi :

— Voici le marché, Monsieur, veuillez l’examiner à loisir. Mon mari revient dans huit jours, il aura l’honneur de vous voir.

— Je pars plus tôt : mais j’ai tout le temps d’examiner ce marché. Je le signerais sur-le-champ si le délai que vous m’imposez ne me donnait le droit de revenir.

Madame Dilois avait repris toute sa coquette assurance.

— Je suis toujours chez moi, répondit-elle.

— Quelle heure vous semble la plus convenable ?

— Ce sera celle que vous choisirez.

Après ces mots, elle fit au baron une de ces révérences avec lesquelles les femmes vous disent si précisément : « Faites-moi le plaisir de vous en aller. » Luizzi se retira. Tout le monde était à son poste dans le premier bureau. En reconduisant Luizzi, madame Dilois tendit la main à un gros rustre qui était près du poêle, et qui lui dit jovialement :

— Bonjour, madame Dilois.

— Bonjour Lucas, répondit-elle avec le même sourire avenant qui avait tant charmé Luizzi.