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de s’attacher au char d’une courtisane princière ; puis, des économies prises sur sa dépense, elle aida secrètement les plus pauvres. Elle mit assez de délicatesse dans ses bienfaits pour exiger d’eux des engagements en règle ; et, sûre qu’elle leur donnait, elle prenait toutes les précautions possibles pour leur faire croire qu’elle n’entendait que prêter.

Pendant ce temps, les amants se succédaient comme par le passé, d’autant plus qu’Olivia, toujours précieuse dans le choix de ses amis patents, s’était depuis longtemps dégradée dans le choix de ses amants cachés ; et peut-être eût-elle fini par se perdre tout à fait dans ces honteuses habitudes, si une maladie de langueur, occasionnée par le climat de Londres, n’eût mis sa vie en danger. Tous les soins des médecins ayant été inutiles pour vaincre cette disposition mélancolique qui avait presque anéanti les forces de son corps, et qui déjà voilait les grâces de son esprit, il fut décidé qu’Olivia devait quitter l’Angleterre sous peine de mort. Tous ses amis de l’émigration lui conseillaient d’aller en Italie : il y avait dans ce conseil un singulier sentiment de jalousie. Forcés d’abandonner aux manants parvenus qui les avaient chassés de France leur fortune, leur rang, leur patrie, ils se sentaient pris de dépit à la pensée que ces hommes de sang, comme ils disaient, pourraient aussi usurper leurs plaisirs. Et certes ils avaient droit de le craindre, car la vertu d’Olivia était encore plus fragile que la vieille monarchie. Olivia ne les écouta pas : elle voulut revoir Paris, un autre Paris que celui qu’elle avait connu, gouverné par d’autres hommes, agité par d’autres idées, se ruant à d’autres fêtes ; car, à l’époque dont je te parle, le directoire siégeait déjà au Luxembourg. Olivia obtint facilement sa radiation de la liste des émigrés, et les débris de la fortune qu’elle emportait d’Angleterre lui procurèrent une aisance qui lui permit de disposer de sa personne en faisant les conditions de son marché.

Quoiqu’elle eût alors plus de trente ans, Olivia était d’une beauté si élevée et si pure, qu’elle fut bientôt entourée des assiduités des merveilleux les plus renommés de Paris. Femme de luxe et de plaisir, elle se fit remarquer dans les pompes si peu gazées de Longchamp et dans les bals si mystérieux de l’Opéra et de Frascati. Cependant elle ne retrouvait ni sa santé ni l’indépendance légère de son esprit. Ses accès de mélancolie et de découragement devenaient de jour en jour plus fréquents, et ce n’avait été qu’à grand’peine