Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/324

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouver un abri contre la démoralisation qui lui arrachait, si jeune, cette fleur de l’âme, la foi en l’amour !

Elle trouva cependant une compensation à la perte de toutes les émotions amoureuses qui font de la jeunesse une vie qui souffre presque toujours tant qu’elle dure, et qu’on regrette toujours quand elle est passée. Ces compensations furent l’habitude d’un monde brillant, le goût des choses exquises, une appréciation rapide et tranchée des hommes et des événements, une espèce de passion pour les grandes causes de l’humanité, passion due à cette philosophie dont l’Encyclopédie tenait école permanente, et, au milieu de cette galanterie dissolue où l’on prenait un nouvel amant comme une robe nouvelle, une préférence singulière pour les plaisirs de l’esprit, les succès de conversation, l’empire du bon mot et la réputation de femme supérieure. Ce n’est pas qu’Olivia, arrivée à l’éclat de toute sa beauté, ne fût aussi l’esclave d’une nature ardente et impérieuse ; mais, il faut le dire, elle ne réunit jamais sur le même homme le choix de son esprit et celui de ses yeux. Elle eut presque toujours ensemble un amant en qui elle voulait un nom, de la réputation, du succès, et dont elle était fière, et un amant à qui elle ne demandait rien de tout cela et qu’elle cachait soigneusement. Elle se donnait à tous deux, mais avec cette différence qu’elle se laissait longtemps désirer par le premier et qu’elle cédait facilement au second. C’est qu’entre ces deux hommes il y avait aussi cette différence qu’elle était au premier et que le second était à elle.

Les plus jeunes années de la vie d’Olivia se passèrent dans ce double dévergondage. Le financier avait grossi la fortune que lui avait procurée l’association des douze, et bientôt les princes, les ambassadeurs, les traitants se succédant rapidement dans les bonnes grâces d’Olivia, elle arriva à une de ces fortunes scandaleuses qui font honte à la société où on peut les acquérir. Quand la révolution arriva, Olivia était en Angleterre avec un membre de la chambre des lords, qui dépensait pour elle plus que les revenus d’une fortune formidable. Elle était prête à revenir en France pour sauver ses biens de la confiscation, lorsque l’émigration lui envoya à Londres tous ses amis de Paris. Olivia se montra, en cette circonstance, bonne, noble et spirituelle. Elle diminua le train de sa maison pour pouvoir y accueillir plus facilement tous ces grands seigneurs ruinés, sans qu’on pût les accuser