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qui me valait sa nouvelle visite à cette heure ?

— D’abord, reprit Ganguernet, je suis venu pour vous présenter M. le comte de Bridely : en passant sous vos croisées j’ai vu de la lumière chez vous, et j’ai pensé que vous n’étiez pas encore couché. Ensuite je voulais vous prier de garder le plus profond secret sur l’histoire de ce matin : je sais que vous êtes amateur de scandale…

— Moi ? je vous jure que je n’en dirai mot à personne, pas même à M. le comte de Bridely.

— Qu’est-ce donc ? fit le comte.

— Cela vous amuserait fort peu, je crois, Monsieur, lui répondit le baron avec hauteur.

Puis, s’adressant à Ganguernet :

— Pour que je vous garde le secret, il faut que vous répondiez à une question. Avez-vous jamais entendu parler d’un certain M. Libert, financier ?

— Tiens ! s’écria Ganguernet, si je connais mon beau-frère ?

— J’en avais le pressentiment, dit Luizzi ; alors c’était le frère de cette madame… ?

— Marianne Gargablou, fille Libert ; Antoine Libert, un gros homme de Tarascon, Provençal enté sur Normand ; l’avarice et l’ostentation greffées sur la friponnerie et la rapacité.

— Vrai Turcaret, à ce qu’il me semble ?

— Pur Turcaret, car il abandonna sa femme dans un coin pour entretenir des maîtresses, et laissa sa sœur mourir de faim.

— Eh bien ! j’espère, reprit Luizzi, pouvoir vous donner de ses nouvelles.

— Il est mort.

— J’espère du moins pouvoir vous donner des nouvelles de sa fortune, et il n’est pas impossible qu’elle retourne aux vrais héritiers de M. Libert.

— À moi ! s’écria Gustave emporté par le souvenir des nombreux millions de monsieur son oncle.

— Est-ce que cela vous regarde, monsieur le comte ? fit Luizzi d’un ton dédaigneux.

— Vous le savez bien, baron, dit Ganguernet. Allons, reprit-il en s’adressant au comte de Bridely, ne me fais pas tant de signes ; M. Luizzi sait tout.

— Et j’entre dans la conspiration.

— D’ailleurs, reprit Ganguernet, l’affaire du vieux Rigot est bien chanceuse : il donne deux millions de dot, mais à qui ?

— À sa nièce, m’avez-vous dit ?

— Hé non ! Rigot est un bien autre original ! Il a fait une donation de deux millions, sans qu’on sache si c’est à la mère ou à la fille. Il a décidé qu’elles se marieraient le même jour ; mais ce ne sera qu’en sortant de l’église que le notaire décachettera la donation bien scellée que Rigot lui a remise.

— Pardieu ! reprit Luizzi, voilà qui est singulier !

— Sans doute, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Comment retrouverons-nous les millions de l’oncle