Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/317

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

fat qu’il se fût aperçu de l’attention de la jeune fille ; il se sentit adoré, et, malgré la beauté d’Olivia, le drôle eut l’impudence de se faire désirer, car elle le désira. Sa tête était partie, et bientôt elle se sentit véritablement folle du maître de clavecin. Un tendre aveu fut échangé, et la surveillance de madame Béru fut trompée. Huit jours après, les illusions d’Olivia n’existaient plus. Tenant cercle tous les soirs, au milieu d’hommes qui prêtaient à leurs vices des formes élégantes, dont l’esprit rieur avait toujours pour elle cette adoration flatteuse vouée par le libertinage à la beauté, elle établit une fâcheuse comparaison entre ceux qu’elle avait voulu tromper et celui pour qui elle les avait trompés. Bricoin était le véritable amant de la femme perdue : despote, brutal, injurieux, menaçant à tout propos de découvrir le secret d’Olivia quand elle n’obéissait pas à toutes ses volontés. Il lui fit bientôt un supplice perpétuel de la vie, et la pauvre fille, innocente de cœur et dépravée d’esprit, ne cessait de se répéter :

« — Certes, j’aurai des amants, mais je n’aimerai plus. »

La fatale année s’écoula ainsi, et lorsque, dans un souper pareil à celui que nous venons de rappeler, il fallut qu’Olivia se prononçât entre les douze concurrents, la belle fille se leva et dit d’une voix assurée :

« — Je choisis le sous-fermier.

« — Dans deux jours, s’écria le financier, dans deux jours, ma reine, tu seras dans le plus bel hôtel de Paris. »

L’assemblée resta stupéfaite ; le vicomte seul se tut, et dans la soirée il s’approcha d’Olivia :

« — Cela n’est pas clair, lui dit-il ; tu as choisi cette boule dorée, ce n’est pas par avarice : on n’en est pas là à ton âge. Il y a quelque chose là-dessous. Si tu as besoin d’avoir pour amant en titre un imbécile, c’est qu’il y a un autre amant à cacher. »

Olivia, pressée par le vicomte, lui avoua tout. Huit jours après quand Bricoin vint pour donner la leçon à la jeune Olivia, à son nouvel hôtel, au lieu de trouver le financier établi le matin chez elle, il y trouva le vicomte. Bricoin voulut faire du bruit et menaça de tout dire au Mondor. Le vicomte prit une canne et la cassa jusqu’à la poignée sur le dos du drôle, puis il lui dit :

« — Ceci, c’est pour t’avertir de ne plus reparaître ici. Quant au rapport dont tu nous menaces, si tu dis un mot, je te couperai exactement les deux oreilles. »