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elles à partir de cette solennelle épreuve. Tout continua sur le même pied, si ce n’est qu’il y avait une enfant en plus dans la maison. On avait nommé cette enfant Olivia. Elle grandit sans que personne fît attention à elle, oubliée à l’office comme dans le salon, écoutant à la fois les théories de friponnerie domestique émises en argot de valets, et les théories de corruption galante déduites en terme d’un libertinage précieux. Olivia avait dix ans qu’elle ne savait ni lire ni écrire ; mais en revanche, cajolée sans cesse par des hommes du meilleur ton, jouant dans un salon où se réunissaient les notabilités du vice élégant, elle avait un babil délicat et parlait de toutes choses avec une bonne grâce parfaite. Puis, tout d’un coup, elle trouvait aussi les reparties les plus saugrenues, réminiscence de l’office, qui avaient un succès de fou rire dans le salon.

À cette époque, il arriva deux grands événements dans la maison de madame Béru : son mari mourut d’une indigestion mêlée d’apoplexie, et elle fut attaquée de la petite vérole. Elle se releva de cette maladie après y avoir laissé les restes d’une beauté qui avait occupé tout Paris, ou plutôt qui avait été occupée de tout Paris. Ce fut alors que madame Béru se retourna vers sa fille et s’aperçut que ce serait une enfant d’une ravissante beauté. Alors elle songea à son éducation. Olivia n’apprit que deux choses, l’orthographe et la musique : la musique qui lui permit de faire entendre la plus belle voix du monde ; l’orthographe qui lui permit de mettre sur le papier les phrases délicatement travaillées qu’elle avait apprises dans les conversations du salon de sa mère. À mon sens, Olivia savait tout ce qu’une femme doit savoir ; car à ces deux distinctions dont nous venons de parler elle joignait celle de s’habiller à ravir et de marcher divinement. Un des plus grands vices des femmes élégantes de votre temps, c’est de ne pas savoir marcher : la plupart se traînent mollement, s’imaginant que c’est une attestation d’oisiveté, et par conséquent de richesse, que de poser douloureusement à terre des pieds qui ne sont habitués qu’aux tapis des appartements et aux voitures. Les femmes ont tort : une de leurs grâces les plus vives ne se trouve que dans une marche nette, droite et légèrement rapide. Il n’y a que dans une pareille marche que peuvent se montrer ces airs de tête soudains et décidés à une rencontre imprévue, ces saluts doucement inclinés du haut du corps et que la rapidité du pas