torze fois par semaine, excepté en temps de bataille. Licencié à Toulouse en 1815, il a fait le métier de vieux soldat.
— Qu’est-ce que c’est que ça ?
— Vous ne savez pas ? dit Ganguernet prenant un air de grognard, se posant militairement et faisant une grosse voix : « Vieux soldat de l’empire, qui a vu toutes les capitales de l’Europe, sacredieu ! vive Napoléon ! brave Français, patriote jusqu’à la mort ! la croix gagnée sur le champ de bataille, vingt blessures ! vive l’empereur ! » Avec ça et un état de services un peu propre, il a attrapé pendant deux ou trois ans des pièces de cent sous à l’effigie de l’empereur à tous les bonapartistes, officiers, généraux, etc., chez qui il se présentait.
— C’est un drôle de métier !
— Très-connu, dit Ganguernet. Mais la concurrence l’a gâté, et il a fallu en chercher un nouveau. Alors il a pris le métier opposé : grande famille ruinée.
— Qu’est-ce que cela encore ? fit Luizzi.
Ganguernet prit une figure longue, dédaigneuse, une pose impertinente et souple à la fois, puis reprit, en parlant légèrement du nez et du bout des lèvres :
— Le marquis de Bridely ! Un dévouement qu’on croit récompensé par une stérile décoration (en ce cas le ruban rouge de la Légion d’honneur devient le ruban rouge de Saint-Louis) ! Une fidélité inviolable aux Bourbons, malgré leur ingratitude ! Et avec ça on attrape aux royalistes des napoléons à l’effigie de Louis XVIII.
— Et ce métier-là s’est usé comme l’autre, par la concurrence ?
— Non, par l’usage. Notre marquis allait vite : il épuisa Paris en trois ou quatre ans. Il eût bien pu continuer en province, mais Paris lui était nécessaire ; et, après avoir vendu des contre-marques en sous-ordre, il est devenu chef de claque au théâtre où monsieur mon fils voulait s’engager.
— Enfin ! dit Luizzi, nous voici arrivés ; et qu’a fait monsieur votre fils ?
— Au reçu de ma lettre, il a été trouver M. le marquis et lui a offert mille écus s’il voulait épouser sa portière, le reconnaître et le légitimer. Le marquis a accepté, et le fils de M. Aimé-Zéphirin Ganguernet et de Marie-Anne Gargablou, fille Libert, est maintenant le comte de Bridely gros comme le bras.
— Est-il beau garçon, votre fils ?
— Elléviou, pur Elléviou.
— A-t-il de bonnes manières ?
— Elléviou tout craché, baron.
— Cela demande réflexion, monsieur Ganguernet.
— Quoi ? dit celui-ci.
— Rien, oh ! rien. Et quand partez-vous pour aller chez votre ami… monsieur ?…
— Rigot ?