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punir. L’homme livré à lui-même ne manque pas de mauvaises pensées, celui qui se trouve en commerce avec Satan doit en être gorgé. M. de Mareuilles devait épouser mademoiselle de Marignon : n’y avait-il pas moyen de lui voler sa femme ? Luizzi y pensa longtemps, mais il n’avait guère d’autre moyen d’opérer cet enlèvement qu’en se mettant lui-même sur les rangs pour épouser ; et, malgré la nécessité où il se trouvait de prendre femme dans le délai de deux ans, il n’était nullement tenté de tourner ses vues du côté d’un monde où il avait découvert tant de crimes. L’imagination n’était pas le côté brillant du baron, et probablement il en serait resté sur son projet de méchanceté sans trouver aucun moyen de l’accomplir, lorsqu’on lui annonça la visite de M. Ganguernet.

— Eh bonjour ! baron, fit le farceur du bout du salon. Que m’a-t-on dit ? que vous aviez été malade ? vous voilà rose et frais comme une pomme d’api ?

— Oui, je suis tout à fait rétabli.

— Eh bien ! que dites-vous de Paris, mon cher ? quelle ville, quel peuple dans les rues, quel brouhaha ! C’est un pays de dieux.

— Et de déesses aussi, n’est-ce pas, monsieur Ganguernet ?

— Ah ! baron, les femmes y sont froidasses en diable. Elles n’ont pas cet œil noir, cette tournure qui dit suis-moi ! de nos grisettes de Toulouse.

— Et qu’êtes-vous venu faire dans la capitale ?

— Comment ! fit Ganguernet, je ne vous l’ai pas dit ? je viens pour un mariage.

— Vous aussi ! reprit Luizzi imprudemment.

— Bon ! vous vous mariez, et avec qui ?

— Avec une femme accomplie. Et vous ?

— Moi, je ne vous ai pas dit que je venais pour me marier. Je viens pour un mariage, mais c’est pour celui de monsieur mon fils.

— Votre fils, à vous ? je n’ai jamais entendu parler de madame Ganguernet.

Le farceur sourit et répondit :

— Je ne pouvais pas épouser une femme en puissance de mari.

— Encore ! s’écria le baron avec dégoût ; de façon que votre fils porte un nom qui ne lui appartient pas ?

— Je vous demande bien pardon, il lui appartient ; car il l’a payé.

— Comment ! il a acheté un nom ?

— Pas très-cher ; c’est un rusé compère, je vous jure. Connaissez-vous une pièce de M. Picard appelée l’Enfant Trouvé ?

— Oui. Je crois l’avoir vu représenter, il y a peu de temps.

— Eh bien ! monsieur mon fils a mis la pièce en action. C’est un beau gaillard, qui a assez longtemps joué les Ellévious en province. Il a fait fu-