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Crostencoupe sortit, et Luizzi, rejetant ses couvertures et se levant, s’écria :

— Madame Humbert, il me faut un dîner à trois services, et surtout une salade et des artichauts à la poivrade.

— Ah ! monsieur le baron ! faites donc attention ! dit la garde-malade en baissant les yeux et en rougissant.

— Bon, dit Luizzi, est-ce la simplicité de ma toilette qui vous épouvante ? Il me semble que cela n’a rien de nouveau pour vous.

— Rien de nouveau, monsieur le baron, fit madame Humbert avec un sourire, un hochement de tête et un regard de satisfaction inouïs.

Le baron embrassa madame Humbert. Pierre entra. Cela fit penser au baron que, dans son délire de bonne santé, il se faisait le rival de son valet de chambre. Il en fut humilié, et redevint impérieux vis-à-vis de lui.

— Il paraît que monsieur est tout à fait guéri ? dit Pierre.

On lui servit à dîner, et il mangea admirablement. Huit jours encore se passèrent ainsi. Un matin que le docteur le trouva levé, il lui dit en souriant :

— Hé ! hé ! monsieur le baron, je pense que vous reconnaissez le bon effet de la précaution que j’ai prise en vous interdisant de manger autre chose qu’une petite côtelette ?

— Allons donc, docteur ! voilà huit jours que je me bourre d’excellents ragoûts et de toutes sortes de crudités.

— Inouï ! inouï ! inouï ! s’écria le docteur en parcourant la chambre à grands pas ; c’est une conclusion admirable à ajouter à mon mémoire. Oui, reprit-il en tirant un manuscrit de sa poche, voici un mémoire qui fera ma gloire et ma fortune : c’est l’historique de votre maladie et de votre guérison. Je l’envoie demain à l’Académie des sciences ; il est impossible qu’elle ne soit pas frappée des prodigieux résultats de mon traitement au milieu des dangers que le malade semblait créer à plaisir. Car vous avoir guéri si vous aviez exactement suivi mes ordonnances, c’était tout simple ; mais vous avoir guéri malgré cette infraction incessante au régime prescrit, c’est la preuve la plus manifeste de l’excellentissime effet de mes pilules et de mon julep. Ils passeront à la postérité, monsieur le baron ! pilules de Crostencoupe ! sirop de Crostencoupe ! demain je les fais annoncer dans tous les journaux. Vous me permettrez de citer votre nom, monsieur le baron, c’est le seul salaire que je vous demande.

— Faites, docteur, dit le baron en riant ; je serai ravi de savoir l’opinion de l’Académie des