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teur dans le cœur et dans les idées ; il faut savoir trouver son bonheur dans un mot, dans un regard, dans un geste, dans quelque chose de délicat et de voilé, de saint et de grave. Avec une fille de joie, au contraire, le plaisir vient au galop, bien franc, bien ouvert, bien débraillé ; on n’a aucune peine à le poursuivre, il se jette à votre cou, il vous excite, il vous entraîne, il vous égare. Le lendemain au matin on en rougit, le soir on recommence. Il en est de même en littérature : on ne racontera pas à tout venant qu’on a été dans un mauvais livre, mais on y va.

— Et des scènes pareilles à celles que j’ai vues pourront y prendre place ?

— Ne dois-tu pas écrire mes mémoires ?

— Et tu veux qu’un pareil tableau s’y trouve ?

— Pourquoi non ? Crois-tu qu’à la distance où je suis de l’humanité je fasse beaucoup de différence entre les vices d’un grand seigneur et ceux d’un manant ? Crois-tu que, pour celui qui voit l’homme à nu, l’habit qui recouvre ses difformités soit une chose importante ? Tu as vu la cupidité dans sa plus basse expression, veux-tu la voir dans ce qu’on appelle le monde ?

— Qu’entends-tu par le monde ?

— Oh ! il y en a de bien des étages ; mais je n’y ai jamais vu de différence que dans la tenue et le mystère.

— C’est-à-dire qu’il y a plus d’hypocrisie en haut qu’en bas : ce n’est qu’un vice de plus.

— Mon bon ami, dit Satan, l’hypocrisie, à la bien prendre, est le grand lien social de l’humanité.

— Plaît-il ? fit Luizzi.

— Écoute, baron ! Dans une ville où règne la peste, si une administration imprévoyante laissait encombrer les rues de malades et de cadavres, si elle laissait l’air se corrompre et les imaginations s’épouvanter, il n’est pas douteux qu’en peu de temps le fléau gagnerait les trois quarts de la population : mais si, au contraire, elle fait disparaître toutes les traces de la maladie, si les moribonds sont cachés dans des hôpitaux et les victimes enlevées rapidement, l’épidémie se réduit à ses propres forces. Il en est du vice comme de la peste. Il a ses miasmes qui corrompent l’air moral ; c’est ce que vous appelez le mauvais exemple. Ne blâme donc pas l’hypocrisie qui recouvre les plaies de l’humanité : c’est la salubrité morale de la société.

— Et qu’est-ce donc que la vertu ?

— La vertu, mon maître, c’est la santé.

— Où est-elle ?

— Cherche.

— Et comment puis-je la découvrir d’après ce que tu viens de me dire ? qui m’assurera que l’hypocrisie, cet habit trompeur, ne cache pas d’affreuses maladies ?

— Regarde sous les vêtements.

— C’est-à-dire qu’il faut que