Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

des vives impressions que lui avait causées la scène honteuse qui venait de se passer, il eut peine à garder une conscience exacte de tous ses souvenirs, et bientôt il en arriva à se demander si ce n’était pas encore un des rêves de son délire. Rassuré par ce doute, il se laissa aller à une somnolence fiévreuse, qui lui représentait tantôt sa maison au pillage, tantôt des myriades de sangsues le poursuivant de tous côtés. Enfin la lassitude l’emporta ; il s’endormit tout à fait et ne s’éveilla le lendemain que lorsque le jour commençait à se lever. Ce fut le bruit de la sonnette de son appartement, violemment agitée, qui l’arracha à son sommeil. Puis il vit entrer Pierre qui dit tout bas à madame Humbert d’un ton affairé :

— Voici le notaire.

Louis entra un moment après, et madame Humbert leur dit à voix basse :

— Il dort.

Le baron résolut de profiter de l’erreur de ses domestiques pour s’assurer de la vérité de ce qui s’était passé durant la nuit. Il écouta donc ce qu’ils se disaient entre eux.

— Tu as été bien longtemps ? dit Pierre à Louis.

— C’est que je n’ai pas trouvé le notaire chez lui ; on m’a dit qu’il était allé au concert dans le faubourg Saint-Germain, et il m’a fallu courir du boulevard à la rue de Babylone. Arrivé là, je l’ai fait demander ; mais un valet de pied m’a déclaré n’avoir pu le trouver dans les salons, et j’allais revenir, lorsqu’un cocher de mes amis, qui me demandait ce que j’étais venu chercher, m’a appris qu’il venait de voir partir la voiture du notaire et qu’il avait entendu donner l’ordre de le mener Place-Royale chez un de ses clients qui donnait un grand bal. J’ai couru jusque-là et je n’ai pas eu de peine à le faire demander, attendu qu’ils n’étaient plus que quatre ou cinq attablés à une partie d’écarté. Il m’a fallu attendre encore une grande heure et demie, parce que la partie était un peu chaude ; enfin je l’ai attrapé au passage et je vous l’amène en bas de soie et en claque.

— C’est bon, dit Pierre ; pourvu que le baron ne soit pas retombé, c’est tout ce qu’il faut.

— S’est-il aperçu de quelque chose ? reprit Louis.

— De rien, repartit le valet de chambre ; il a cru que nous étions en train de le veiller.

À ce moment un bruit de voix se fit entendre dans le salon, et le docteur Crostencoupe entra, suivi du notaire Bachelin.